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Benoît Schmutz-Bloch, l’économiste qui ausculte la ville et ses dynamiques
Benoît Schmutz-Bloch
Quel est l’impact de la volatilité de la demande pour les biens et services fournis par les entreprises sur leurs décisions d’implantation géographique ? La formation à distance permet-elle d’améliorer l’insertion professionnelle de publics éloignés de l’emploi ? Comment les réseaux sociaux ont-ils pu constituer à la fois un vecteur d’accélération et d’essoufflement du mouvement des Gilets jaunes ? Autant de questions auxquelles s’attache à répondre Benoît Schmutz-Bloch au Centre de recherche en économie et statistique (CREST).
Animateur de ce qu’il décrit comme une série de « mini start-up de recherche sur l’économie urbaine », il analyse les mécanismes invisibles qui structurent nos métropoles. Ses travaux interrogent aussi bien le marché du travail que les dynamiques politiques ou les comportements sociaux, et sont guidés par un fil rouge : comprendre comment l’espace – sa densité, ses coûts, ses opportunités – façonne les interactions humaines.
Comprendre la volatilité de la demande de main d’œuvre dans les grandes villes
L’un de ses projets phares, mené avec l’économiste Isabelle Méjean, Tomasz Michalski, professeur associé à HEC Paris et Maddalena Conte alors doctorante au CREST, s’intéresse à la manière dont les grandes agglomérations permettent aux entreprises de mieux absorber les variations de la demande. Un sujet technique, mais crucial pour comprendre la géographie économique française.
« Nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure le fait d’être localisées dans de grandes agglomérations permet aux entreprises d’ajuster plus ou moins facilement leur main d’œuvre quand elles font face à des chocs de demande, positifs ou négatifs. Nous souhaitions évaluer à quel point la densité peut être un facteur d’accompagnement de la volatilité de l’activité économique. Les métropoles attirent traditionnellement les entreprises les plus productives, capables de supporter des coûts plus élevés en échange d’un vivier d’opportunités. À travers notre étude, nous avons montré que la variation aléatoire de la demande dans le temps permet également de comprendre une partie des mécanismes de création d’entreprises dans des villes plus ou moins grandes. », explique Benoît Schmutz-Bloch. Ce phénomène lié à la volatilité de l’activité demeure moins puissant que la productivité dans le choix de localisation des entreprises, mais est « de premier ordre ». Il éclaire aussi un paradoxe bien connu : malgré leur dynamisme, les grandes villes n’affichent pas un taux de chômage plus bas que les petites. La variabilité de l’activité des entreprises en est l’une des explications.
Ces résultats sont au cœur d’un article, actuellement en révision pour une future publication dans le prestigieux Journal of the European Economic Association. Maddalena Conte, qui avait consacré un chapitre de sa thèse à ces recherches, a quant à elle reçu le 9 décembre dernier le prix de la meilleure thèse Philippe Martin en sciences économiques, attribué par le Conseil d’analyse économique.
Étudier l’impact de la formation à distance sur le marché du travail
Parallèlement, Benoît Schmutz-Bloch s’intéresse aux comportements de recherche d’emploi dans l’espace, avec l’objectif de quantifier les barrières géographiques à cette recherche. Avec l’Institut des Politiques Publiques, il a par exemple analysé l’impact des offres de formation à distance pour des publics éloignés de l’emploi, tant professionnellement que spatialement. Grâce à une étude menée en région Occitanie à partir de données issues d’organismes de formation, il a pu comparer formation à distance et en présentiel.
Le verdict est clair : la formation numérique n’est pas moins efficace que la formation classique, mais elle élargit son périmètre. « Nous avons constaté que les formations en ligne permettent de satisfaire une demande différente, en touchant un public plus rural que les formations en présentiel. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, les stagiaires à distance ont moins tendance à abandonner leur formation en cours de route, peut-être grâce à la plus grande flexibilité offerte par ce format, ou aux moindres coûts associés, en termes de déplacement par exemple. Globalement, les stagiaires affichent un niveau de satisfaction plus élevée vis-à-vis de leur formation, en dépit de la solitude qu’ils peuvent également ressentir. En revanche, notre étude ne permet pas d’identifier un effet spécifique, positif ou négatif, de ce type particulier de formation sur leur trajectoire professionnelle ultérieure. »
Gilets jaunes : les réseaux sociaux comme accélérateur… et frein
Ces dernières années, Benoît Schmutz-Bloch a également consacré plusieurs travaux au mouvement des Gilets jaunes qui a illustré l’importance des inégalités socio-économiques entre territoires. Avec plusieurs collègues, dont Vincent Rollet (X 2016) et Yves Le Yaouanq (X 2005), il a compilé de nombreuses données pour comprendre comment les réseaux sociaux ont permis une mobilisation fulgurante et une radicalisation tout aussi rapide, conduisant à l’essoufflement du mouvement.
Leur modèle théorique éclaire cette ambivalence. Les réseaux sociaux, en offrant une technologie de mobilisation très peu coûteuse, favorisent la participation d’un grand nombre de citoyens. Mais ils offrent aussi une scène idéale aux factions les plus radicales, qui peuvent se regrouper et s’exprimer de manière plus violente, décourageant progressivement les participants modérés.
« Les réseaux sociaux sont un formidable laboratoire permettant de comprendre des phénomènes de manière accélérée. Ils révèlent des antagonismes qui, dans les manifestations traditionnelles, étaient moins visibles », résume Benoît Schmutz-Bloch.
Des travaux rendus possibles par la chaire Jean Marjoulet
Depuis 2023, Benoît Schmutz-Bloch est titulaire de la chaire professorale Jean Marjoulet. Créée grâce à la générosité d’Hugues Lepic (X 1984), en mémoire de son grand-père, Jean Marjoulet, lui-même polytechnicien (X 1919), elle permet à un jeune enseignant-chercheur à fort potentiel, recruté récemment et enseignant à temps plein à l'École polytechnique dans l'un de ses domaines d'excellence, de bénéficier pendant 3 ans d’un budget dédié pour financer ses recherches.
« Cette chaire a eu un impact concret sur tous mes projets. Elle m’a permis de financer un accès continu aux données administratives françaises, qui sont littéralement indispensables à notre travail de recherche. Les données fiscales et sociales fournies à l’État par les entreprises, toutes anonymisées, nous permettent notamment de suivre de manière très fine les trajectoires individuelles dans le temps et dans l’espace. La chaire Marjoulet a également financé le recrutement d’un assistant de recherche pendant un an au CREST, qui a été très impliqué dans tous nos projets, et tout particulièrement dans ceux liées aux questions d’offres de formation. Elle a aussi eu un impact pour les doctorants que j’encadrais à travers des financements leur permettant de participer par exemple à des conférences internationales, qui sont des leviers essentiels pour leur insertion professionnelle. », témoigne l’économiste.
Alors qu’il transmettra la chaire à un autre enseignant-chercheur dans quelques mois, Benoît Schmutz-Bloch fourmille de nouveaux projets. Avec des chercheurs de l’École Normale Supérieure de Lyon, il a constitué une équipe qui étudie l’impact des fermetures d’usines en milieu rural sur les mouvements de population. Son étude sur les Gilets jaunes lui a par ailleurs donné envie d’approfondir ses recherches sur l’impact des technologies numériques sur l’organisation du territoire. « Je me pose beaucoup de questions sur l’impact des réseaux de distribution de colis issus du e-commerce sur la profitabilité des petits commerces en milieu rural. Pendant quelques années, le stockage de ces colis a constitué un complément important de revenus pour les petits commerces, mais la mise en place rapide de consignes automatiques met désormais en péril cet équilibre. »
* Centre de recherche en économie et statistique (CREST / CNRS, ENSAE Paris, École polytechnique - IP Paris, GENES)
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