Mécanique : Claire Lestringant et Léo Morin, lauréats du prix Jean Mandel 2025

À l’occasion du Congrès Français de Mécanique qui s’est tenu à Metz le 28 août dernier, Claire Lestringant (X 2007), Maîtresse de conférences à Sorbonne Université, et Léo Morin, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux, ont vu leurs travaux récompensés par le prix Jean Mandel 2025. Destiné à encourager la recherche scientifique dans le domaine de la mécanique des solides ou de la mécanique et rhéologie des matériaux, ce prix est financé par la Fondation de l’École polytechnique dans le cadre de la campagne « Servir la science » et par l'École des Mines de Paris.
Claire Lestringant et Léo Morin
02 Sep. 2025
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Vous avez tous les deux choisi de consacrer vos recherches à la mécanique. Pourriez-vous revenir sur vos parcours respectifs ? 

Claire Lestringant (C.L.) : Je suis diplômée de la promotion X 2007 de l’École polytechnique où je me suis spécialisée en mécanique en 3e année, et de l’École des Ponts où j’ai découvert le génie civil et suivi un master recherche en mécanique des matériaux. En 2012, j’ai rejoint le centre de R&D du Groupe Saint-Gobain à Aubervilliers pour faire de la recherche appliquée aux problématiques des produits comme les verres feuilletés pour les pare-brise aéronautiques ou les vitrocéramiques pour les plaques à induction. J’ai beaucoup aimé le côté opérationnel de ce poste mais l’envie d’approfondir les sujets m’a poussée à revenir vers le monde académique. À l’Institut d’Alembert, où j’ai d’ailleurs croisé Léo, j’ai consacré une thèse aux instabilités dans les structures minces avant d’effectuer pendant deux ans un post-doc à l’ETH Zurich dans le groupe de Dennis Kochmann qui développe des méthodes numériques pour la modélisation multi-échelle. J’ai ensuite passé un an en tant que lecturer à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni, et en 2021, j’ai été nommée maîtresse de conférences à Sorbonne Université. 

Léo Morin (L.M.) : Je suis un ancien élève de l’ENS Cachan où j’ai suivi un parcours en mécanique des solides. De 2012 à 2015, j’ai fait ma thèse à l’Institut Jean Le Rond d’Alembert - aujourd’hui rattaché à Sorbonne Université - sur la modélisation et la simulation de la rupture ductile, puis j’ai réalisé un post-doctorat d’un an au Laboratoire de Mécanique et d’Acoustique à Marseille. En 2016, j’ai été recruté comme Maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris au sein du Laboratoire PIMM (Procédés et Ingénierie en Mécanique et Matériaux). En 2022, j’ai rejoint l’Université de Bordeaux et l’Institut de Mécanique et d’Ingénierie (I2M), toujours en tant que Maître de conférences. 

En quoi consistent les recherches que vous menez ? 

C.L. : Mes recherches s’inscrivent dans la continuité de ma thèse et de mon post-doctorat. Je travaille notamment sur des questions de changement d’échelle qui font interagir l’ingénierie et les mathématiques. Je m’intéresse à la manière dont la microstructure d’un matériau va influencer son comportement mécanique à grande échelle. Je travaille surtout sur des matériaux périodiques comme les composites ou les matériaux architecturés, et depuis peu sur les matériaux granulaires cohésifs qui sont des matériaux désordonnés, avec l’objectif de développer des modèles effectifs pour prédire le comportement de ces matériaux et les effets de la microstructure. 

L.M. : De mon côté, je mène des recherches dans le domaine de la mécanique des solides déformables. Elles visent à développer des modèles théoriques et des méthodes numériques pour décrire les effets de microstructures sur le comportement macroscopique de matériaux, avec pour objectif final de réaliser des calculs de structures. Mes travaux sont organisés en deux axes principaux. Le premier concerne la modélisation et la simulation de la rupture ductile qui est le mode dominant de rupture des métaux et des alliages métalliques à température ambiante. Le second porte sur le développement de méthodes numériques pour simuler le comportement de matériaux hétérogènes. 

À terme, quels domaines pourraient bénéficier de vos recherches ? 

C.L. : Les ingénieurs ont besoin de descriptions robustes et efficaces, et de modèles effectifs qui reproduisent les effets physiques générés par les phénomènes à petite échelle. Des modèles qui permettent de capturer la mécanique d’un matériau sans avoir à calculer tout ce qui se passe au niveau de la microstructure. Mes recherches sont fondamentales pour le moment ; elles pourraient fournir aux ingénieurs des outils quantitatifs pour contrôler et réduire les erreurs des modèles qu’ils utilisent dans le cadre de simulations de matériaux comme les composites à renforts fibrés ou les laminés par exemple. Mon sujet de recherche est à la fois ancien et très actuel avec l’émergence des nouveaux matériaux et nouvelles techniques de fabrication. Aujourd’hui, on peut jouer très finement sur la microstructure et il est important de prédire comment ces changements vont affecter le comportement mécanique des pièces. 

L.M. : Même si elles sont fondamentales, nos activités restent très liées à des problématiques industrielles. La prédiction de la rupture ductile permet de garantir l’intégrité de composants industriels, dans le domaine de l’industrie nucléaire par exemple, où les structures peuvent être soumises à de larges déformations cycliques pouvant conduire à des déchirures en cas de séismes. Les modèles précis et physiquement motivés que nous développons permettent de simuler ces ruptures et de les prédire. Sur le volet des méthodes numériques, notre ambition est d’élaborer des outils utilisables par les ingénieurs pour simuler le comportement des matériaux. Si l’on est capable de simuler ce comportement, on peut alors explorer de nouvelles configurations pour optimiser les matériaux actuels et développer de nouveaux matériaux. Le laboratoire au sein duquel je travaille est notamment spécialisé dans la durabilité des matériaux et m’offre donc un formidable terrain de jeu. 

Vous êtes lauréats du prix Jean Mandel 2025. Que représente cette distinction pour vous ? 

C.L. : Ce prix est une reconnaissance du travail que nous avons mené avec les doctorants et les collègues avec qui je collabore, et je suis très heureuse de voir nos recherches ainsi valorisées. D’un point de vue plus personnel, j’espère que cette distinction incitera d’autres femmes à ne pas s’autocensurer et à oser s’orienter vers les sciences, en particulier vers le domaine de la mécanique dans lequel nous sommes sous-représentées. Je me réjouis de voir que les choses bougent : sur les trois doctorants que j’ai encadrés ces dernières années, deux sont des doctorantes, et après Laurence Bodelot en 2021, je suis la deuxième femme à recevoir le prix Jean Mandel. J’espère que cette tendance va s’accélérer ! 

L.M. : Recevoir le prix Jean Mandel, dont certains lauréats étaient des modèles pour moi, est un très grand honneur, et je suis très heureux d’être distingué avec Claire qui est une brillante mécanicienne. Ce prix est certes individuel mais c’est avant tout un travail d’équipe qu’il récompense aujourd’hui. Je tiens à y associer mes collègues permanents et nos doctorants avec qui nous menons une recherche collaborative. 

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ? 

C.L. : J'espère pouvoir continuer à contribuer à ce type de travaux de recherche fondamentaux, qui sont rendus possibles par un environnement de travail fertile grâce à l'ouverture et à la liberté de la recherche publique. 

L.M. : On peut me souhaiter de continuer à travailler avec des doctorants brillants pour faire avancer le travail de recherche. Et d’avoir du temps pour mener ces recherches !

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