Rencontre avec Bernard Esambert (X1954)

« Le Polytechnicien est un 'honnête homme' qui a le sens de l’intérêt général ». Rencontre avec Bernard Esambert (X 1954), figure marquante de l'histoire contemporaine de l'École polytechnique.
Rencontre avec Bernard Esambert (X1954)
02 juin. 2015
Portrait

Bernard Esambert est originaire d'un quartier populaire de Paris. C'est une figure marquante de l’histoire contemporaine de l’École polytechnique. Homme brillant au parcours surprenant, Polytechnicien passionné et passionnant, Bernard Esambert est avant tout un visionnaire. Il s’investit très rapidement pour l’X, créant la Fondation tout en étant Président du Conseil d’Administration de l’École, qu’il réforme pendant son mandat présidentiel, pour la hisser à son plus haut niveau. Avec enthousiasme, il aborde le rôle de l’X pour l’Etat et pour les entreprises, revient sur sa carrière, son investissement pour l’avenir de Polytechnique, en réitérant son vif attachement à son égard. 
Si vous deviez donner un mot-clé définissant Polytechnique, quel serait-il? 
« Découverte ». Sur le plan scientifique et sur le plan académique bien sûr. Mais également sur le plan militaire, avec son uniforme, son statut, ses cérémonies. L’X est une école étonnante puisque la quasi-totalité des personnes qui y rentre est considérée comme faisant partie des meilleurs talents. C’est finalement une découverte de l’excellence ! Mais une excellence qui peut se manifester dans bien des catégories. Déjà très cinéphile – j’avais créé un ciné-club –, j’ai par exemple rencontré un camarade qui avait des connaissances extrêmement abouties en la matière. Cette découverte, c’est aussi celle de l’humain.
Votre carrière vous amène à œuvrer pour le secteur public, notamment à travers votre passage au cabinet de Georges Pompidou, à partir du 1er septembre 1967. Que pensez-vous du rôle de Polytechnique vis-à-vis de l’Etat ? 
Mon expérience me convainc que l’État a besoin des corps d’ingénieurs issus de l’X. A l’époque pompidolienne par exemple, le rôle de l’École a été très marquant dans le développement industriel de la France. De nombreux ingénieurs ont contribué à l’émancipation de grands projets, comme le programme aérospatial Ariane, les télécoms, le nucléaire civil, Airbus... Sans eux, il aurait été difficile de les voir aboutir. Aujourd’hui, nous avons toujours besoin de ces ingénieurs de l’État. L’X doit continuer à produire ces intermédiaires entre le pouvoir politique et les entreprises, afin que l’on puisse renouer avec de grandes ambitions. Je considère que si nous avions plus d’ingénieurs des corps de l’État dans les gouvernements actuels, nous aurions peut-être pris conscience, plus tôt, du rôle essentiel des entreprises dans l’économie d’un pays. 
L’X accorde également une large importance aux entreprises. Elle prend d’ailleurs actuellement un virage marquant vers l’entrepreneuriat. Fin connaisseur du milieu des entreprises, quelle est votre approche de cette nouvelle orientation ?
La démarche d’encourager la création d’entreprises et de rapprocher les élèves de ces dernières est essentielle. Président de l’École polytechnique de 1985 à 1993, j’ai amorcé une politique en faveur de cette stratégie. Il fallait que les élèves aillent en stage, s’imprègnent des entreprises, de leurs modèles et de leur fonctionnement, et surtout les comprennent. Lors de la rentrée des élèves, j’avais l’habitude de faire un grand amphi sur « la guerre économique ». Et voici ce que je leur disais : « Vous allez pratiquer cette guerre, et pour en bénéficier au mieux, il vous faut profiter du gisement de connaissances impulsé par l’X, aller à l’étranger pour sentir l’intensité de la compétition, et parler au moins trois langues pour construire des relations économiques mondiales solides ». 
L’X est au service de l’intérêt général. Qu’est-ce que cela implique selon vous ?
Elle doit contribuer à la création d’entreprises capables de profiter de la mondialisation. Polytechnique doit envoyer ses élèves comprendre les marchés étrangers, et les rapprocher de la recherche pour créer des renouveaux de croissance économique. Que le Corps des ingénieurs d’Etat soit plus faible qu’auparavant est aujourd’hui naturel. Il faut aussi de la place pour les ingénieurs chercheurs, qui valoriseront la migration de la recherche vers la production de nouveaux produits industriels. Finalement, l’X doit infiltrer tous les systèmes : il faut des entrepreneurs, des ingénieurs pour les entreprises, pour les PME, pour les grands groupes, mais aussi pour la recherche, et pour l’Etat bien sûr. En cela, l’X est au service de la Nation : elle est en mesure de créer le sursaut de croissance dont nous avons besoin.
Président pendant 8 ans de l’École polytechnique, vous lui avez permis d’avancer dans de nombreux domaines. En intégrant la biologie dans le tronc commun par exemple, mais aussi en créant la Fondation de l’X. Racontez-nous sa genèse. 
Très vite, je me suis aperçu qu’il existait des fondations dans d’autres grandes écoles. J’avais de nombreux projets pour l’X, mais il me manquait les financements. En deuxième lieu, je souhaitais pousser les stages des élèves en entreprises, mais ces dernières connaissaient parfois peu l’École. L’idée de la création d’une fondation m’est alors apparue comme une évidence : elle deviendrait l’interface privilégiée entre les entreprises et l’X, et constituerait l’un de ses canaux financiers. Constituer la Fondation en FRUP (Fondation Reconnue d’Utilité Publique) était indispensable. Mais pour cela, il me fallait une dotation de départ de 5 millions de francs. Après quelques courriers à de grandes sociétés dirigées par des X, j’ai réuni la somme nécessaire. En trois mois, son financement était bouclé. En six mois la Fondation était créée. Avec ses vocations propres, elle devenait complémentaire de l’AX. Puis, avec Raymond-H. Lévy (X 1946), qui en a pris la présidence, elle a pris son essor.
Selon vous, quel rôle la FX doit-elle jouer pour l’avenir de l’X ?
J’ai de grandes ambitions pour la Fondation. Sa première campagne de levée de fonds a été un succès, mais j’aimerais qu’elle aille encore plus loin, en atteignant des chiffres à l’américaine ! Aujourd’hui, la FX doit répondre à trois types d’ambitions : aider l’X à mettre en place ses réformes ; devenir un pilier financier solide de l’X en raison de subventions publiques condamnées à baisser inéluctablement ; soutenir l’X dans son développement au sein de Paris-Saclay en créant, notamment, des passerelles avec le monde universitaire. Sur ce point, il convient d’ajouter une contrainte absolue, celle que l’X reste une structure dominante qui conserve son rang éminent.
Ancien Président du Conseil d’administration de l’École, à l’origine de la Fondation, votre implication ne s’arrête pas là, puisque vous êtes également Grand donateur. Une ambition sans limite pour l’X ? 
Je continue à être très ambitieux pour l’X. A travers mon don, je souhaite consolider les ambitions que j’ai pour elle : qu’elle fasse définitivement jeu égal avec les plus grandes institutions, comme le MIT, Harvard, ou Stanford. Mais mon ambition, c’est aussi que l’X conserve son ADN propre, avec ses spécificités, sa renommée, sa marque, l’intégrité de ses élèves. Toutes ces raisons m’incitent à penser que l’avenir de l’X est certainement un avenir glorieux à maintenir en permanence.
 
Retour