NICOLETIS John (X1913)

Militaire, scientifique et humaniste
NICOLETIS John (X1913)
14 jan. 2010
Patrimoine, Polytechniciens en 14-18

Né le 11 février 1893 à Paris
Décédé le 25 août 1987 à Paris

Promotion X1913
Grade le plus élevé atteint au cours de la carrière : ingénieur en chef militaire de 1ère classe de réserve (colonel)

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Fils d’un père médecin originaire de l'île de Crète et d’une mère anglaise, John Minos Stéphanos Nicolétis voit le jour le 11 février 1893 à Paris. Suite au déménagement de ses parents à Nice, il y fréquente d’abord le Petit Séminaire. Il poursuit ensuite sa scolarité au lycée Janson de Sailly de Paris, après le retour de sa famille dans la capitale en 1900. A ses vingt ans, en 1913, il intègre l’École polytechnique et se voit obligé de contracter un engagement militaire de huit ans. L’année suivante il y est rattrapé par la guerre.

Le blessé de guerre
Dès le 6 août 1914, John Nicolétis est nommé sous-lieutenant et affecté au 40e régiment d’artillerie. Il n’y reste cependant que quelques semaines car, dès son instruction militaire achevée, il est transféré au 33e régiment d’artillerie et envoyé au front le 21 octobre. On le retrouve alors sur les champs de bataille des Flandres, au cours de la seconde bataille d’Ypres, puis dans l’Artois, du côté d’Arras.
Le 23 mai 1915, alors que le 33e RA est chargé d’appuyer une attaque du 32e RI dans le secteur de Berthonval, près de Mont-saint-Eloi (Pas-de-Calais), Nicolétis est gravement blessé. Il souffre alors de plaies multiples causées par l’éclatement d’un shrapnell à proximité de sa batterie [2]. Dès le 28 mai, il est cité pour cela à l’ordre de son régiment. « A fait preuve, depuis son arrivée sur le front, de dévouement et de bravoure, le 23 mai a par son exemple maintenu le calme dans sa batterie violemment canonnée, criblé de blessures par l’éclatement d’un obus, a prescrit de ne pas faire interrompre le tir qu’il faisait exécuter. » [3]

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Légende : L’insigne des blessés a été décerné au lieutenant Nicoletis. Collection particulière
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Légende Croquis général du champ d’opération de la 18e DI autour de Mont-Saint-Eloi entre le 6 mai et le 4 juillet 1915
Source : SHD, JMO de la 18e division d’infanterie, 26N299/1 D.R.

A son retour de convalescence, le 31 mai 1916, John Nicolétis est affecté au 83e régiment d’artillerie lourde puis à l’état-major la 2e division de la Réserve Générale d’Artillerie Lourde, le 24 mai suivant. Quelques jours plus tard, il perd son frère qui, lui aussi au front, est tué dans les environs de Verdun [4]. Le 22 juillet 1916 John est promu lieutenant et se retrouve dans la Somme, où une furieuse bataille fait rage. Deux mois plus tard, le 30 septembre, il est cité à l’ordre du 2e corps d’armée. « Très grièvement blessé en mai 1915, a obtenu d’écourter sa convalescence pour être renvoyé aux armées. Depuis son arrivée sur le front, n’a cessé de donner l’exemple de l’énergie en assurant brillamment son service au cours d’une opération importante malgré ses blessures incomplètement guéries. » Il est également proposé pour le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur [5]. Par la suite, il connait encore les champs de bataille de l’Oise puis les combats de Moronvilliers. Le 21 mai 1917, un nouvel hommage lui est rendu, cette fois par la 4e armée. « Glorieusement blessé en 1915, resté infirme, est revenu au front où il donne à tous le plus bel exemple de courage, d’énergie et des qualités militaires les plus élevées. » Au cours de son passage au sein de l’état-major de cette division, il découvre un tout autre visage de la guerre, qui tranche nettement avec le milieu de souffrances et de privations des tranchées : le monde des « profiteurs de l’arrière ».
Au début du mois d’octobre 1917 l’officier est de retour à l’École polytechnique. A sa sortie, en octobre 1918, il est 19e d’une promotion réduite de 26 élèves. Entre temps, le 15 mai 1918, il est proposé pour une pension de retraite de 5e classe par la commission de réforme de Clignancourt pour « coude droit ballant et raccourcissement de 10 cm de l’avant-bras droit. » A la fin de l’année 1918, il est déclaré invalide de guerre à 100%.

L'ingénieur des poudres et l'industriel
Le 4 mars 1919 John Nicolétis est nommé ingénieur de 2e classe des Poudres [6], puis promu ingénieur de 1ère classe dès le premier avril suivant et est affecté à la poudrerie de Saint-Médard, le 15 avril 1920. En 1921, il est désigné pour faire partie de la mission militaire française au Brésil au sein de laquelle il sert pendant sept ans. En parallèle, il poursuit sa carrière. Le 1er janvier 1922, il est élevé au rang d’ingénieur principal, puis à celui d’ingénieur en chef militaire de 2e classe, le 1er avril 1928. En juillet il est rayé des contrôles de la mission militaire française au Brésil. Le 3 décembre, il est admis à la retraite de manière anticipée et rayé des contrôles de l’activité. L’ingénieur demande toutefois à être pourvu d’un emploi de son grade dans la réserve et est alors affecté à la poudrerie nationale de Toulouse. Pour cela, il est promu ingénieur en chef militaire de 2e classe dans le cadre des réserves du service des Poudres par un décret du 6 mars 1929.
Au lendemain de sa retraite militaire, John Nicolétis débute une carrière civile et part pour Mexico où il gère une manufacture de tabac. Deux ans plus tard, le décès de sa fille cadette âgée de 9 mois précipite toutefois son retour en France. Il y poursuit ses activités industrielles, principalement dans le domaine chimique, en dirigeant ou administrant diverses sociétés telles que l’Imperial Chemical Industries, avec laquelle il collabore entre 1930 et 1938. A côté de cela, il a des activités diverses. En 1931, il est l’un des trois fondateurs [7] du groupe d’études économiques X-CRISE. L’année suivante, il se lance en politique en étant candidat aux élections législatives en Seine-et-Oise sous l'étiquette du parti radical-socialiste [8]. Ancien combattant, il entretient également le souvenir de son expérience du front. Ainsi, dès sa fondation en 1934, il devient membre de la Fédération des Officiers de Réserve Républicains, en réaction à la montée en puissance des ligues d'extrême-droite.

L'humaniste et le résistant

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En 1935, on retrouve Nicolétis au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Dès l’année suivante, il joue un rôle important auprès du gouvernement républicain espagnol par des activités de propagande en France [9] mais également sur place, dans le cadre de quatre missions de conseil dans le domaine de l'armement [10] qu’il remplit pendant la guerre civile. Après cela, il est envoyé en mission en Indochine et est invité par la Chine en 1938. Son plan de coopération franco-chinoise ne se développe toutefois pas car la Seconde Guerre mondiale est proche.
Le 1er septembre 1939, il est rappelé sous les drapeaux et retourne à la poudrerie de Sorgues [11]. Le 31 décembre il est une nouvelle fois rayé des cadres. Dès le mois de septembre de l’année suivante, il entre en résistance dans le mouvement du général Cochet « Les premiers de la Résistance ». Résidant en zone non occupée jusqu’au début de l’année 1943 il cache un moment son ami en fuite, le sculpteur juif Morice Lipsi, et favorise son passage en Suisse [12]. Il aurait également fabriqué des explosifs pour la Résistance ce qui lui a valu d’être arrêté.
Au lendemain de la guerre, en 1946, il est maintenu à sa demande dans le cadre des officiers de réserve du service des Poudres. En juin 1951, il y est promu ingénieur en chef militaire de 1ère classe de réserve et effectue une période de perfectionnement de deux semaines à la poudrerie nationale de Sorgues l’année suivante. Le 11 février 1957, atteint par la limite d’âge, il est finalement rayé des cadres des réserves du service des Poudres. Il est toutefois admis à l’honorariat de son grade et se retire alors à Nanterre.
Dans le domaine industriel, il reprend ses activités d’avant guerre et est à nouveau chargé de la gestion de diverses sociétés. Outre ses activités professionnelles, il faut également mentionner son activité littéraire. En effet, John Nicolétis est licencié ès lettres et docteur en philosophie [13]. En 1957, il contribue par exemple à la fondation du Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées.
Il s’éteint finalement à l’hôpital du Val-de-Grâce le 25 août 1987, à l’âge de 94 ans.


Sources et bibliographie
• Archives de l’École polytechnique, Dossier X1A (1913).
• Archives de Paris, Registres matricules, D.4R1 1735.
• Service Historique de la Défense, JMO du 33e régiment d’artillerie de Campagne, 26N964/1.
• [en ligne] http://www.nicoletis.fr/


Notes
[1] Remerciements : Emmanuel Dubail
[2] Il est alors rattaché à la 3e batterie du 1er groupe du 33e RA.
[3] Ce texte est repris par une citation à l’ordre de la Xe armée le 9 juin suivant.
[4] Alexandre Léon Edouard Nicolétis a lui aussi servi dans l’artillerie avec le grade de sous-lieutenant. Le 21 juin 1916, il est tué dans le bois d’Esnes (Meuse) dans les rangs du 5e régiment d’artillerie à pied. (Source : Mémoire des Hommes)
[5] Il obtient effectivement cette distinction le 13 juillet 1917. Tout au long de sa carrière, il progresse dans cet ordre jusqu’à la dignité de Grand Officier. Outre cela, il est également décoré de la Military Cross anglaise et de l’insigne des blessés.
[6] Avec effet rétroactif au 6 août 1916.
[7] Ses deux co-fondateurs sont alors Gérard Bardet (X1922) et André Loizillon (X1922).
[8] Il n’est toutefois pas élu. En 1935 il est candidat aux élections municipales sur la liste de la SFIO mais sans plus de succès.
[9] D’après Evariste Nicolétis (X1988), son fils « Il fut notamment reçu en audience par le président de la République, Albert Lebrun, à qui il représenta les dangers que la collusion entre l'Allemagne hitlérienne et la sédition franquiste feraient, en cas de victoire de troupes franquistes, peser sur les approvisionnements de la France en pyrites, matière première essentielle à la fabrication d'explosifs. »
[10] Entre août 1936 et décembre 1937.
[11] Il y est entre temps retourné pour effectuer une période d’exercices entre le 24 et le 30 mai 1930.
[12] Source : [en ligne] http://www.nicoletis.fr/Ecrits/John_NICOLETIS_-_Chevilly-Larue.pdf
[13] Il a obtenu ce diplôme lors de son séjour au Brésil.

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