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Entretien - Circuits intégrés : La maîtrise de la conception est un enjeu majeur

Entretien - Circuits intégrés : La maîtrise de la conception est un enjeu majeur
28 juin. 2021
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Un circuit intégré dévolppé par le laboratoire OMEGA

Deux manifestations de grande ampleur ont célébré au cours du mois de juin les réalisations et les potentialités de la high tech et du numérique : Vivatech où l’Institut Polytechnique de Paris et ses start-up étaient présents en force et le World Mobile Congress de Barcelone.

Pourtant, au même moment, une pénurie mondiale de semi-conducteurs affectait des industries dans le monde entier mettant à l’arrêt de nombreuses lignes de production et focalisant l’attention des médias internationaux sur le quasi-monopole de quelques pays asiatiques, au premier rang desquels Taïwan et la Corée du Sud, sur ce secteur devenu stratégique comme l’était la production pétrolière au siècle précédent.

La pandémie de Covid-19 a accéléré la tendance structurelle à l’augmentation de la demande pour les circuits intégrés.

Dans un monde toujours plus interconnecté, plus automatisé et de plus en plus préoccupé par les enjeux climatiques, la croissance économique devient de plus en plus intensive en semi-conducteurs.

Leur rôle crucial pour la prospérité mais aussi pour la souveraineté nationale, couplé à la rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine, est susceptible d’entraîner une redistribution des cartes.

La stratégie américaine – défensive avec l’objectif de relocaliser des unités de production et offensive avec la volonté affichée de contrôler la propriété intellectuelle – peut déboucher sur une domination à long terme par les Etats-Unis et leurs alliés de la filière des semi-conducteurs. La Chine qui accélère le développement de ses capacités de production peine à monter en gamme. A court-moyen terme, les producteurs asiatiques devraient toutefois continuer de bénéficier de cette évolution structurelle de la demande et se retrouver au centre de ses prolongements géostratégiques.

Si les ASICs pour la physique des particules peuvent sembler très éloignés de ces enjeux, Christophe de La Taille, directeur du Laboratoire OMEGA (unité mixte CNRS/IN2P3-Ecole Polytechnique), souligne que ce domaine de recherche n’y est pas si étranger.

Présentations du Laboratoire OMEGA dans le cadre du cinquantenaire de l’IN2P3

La microélectronique en évolution à OMEGA par Christophe de La Taille.

Les défis de la microélectronique par Damien Thienpont.

Le laboratoire OMEGA conçoit des ASICS pour la physique des particules. Pour quelles raisons ces ASICs doivent-ils être conçus dans un laboratoire dédié ?

Christophe de La Taille : Il y a trois raisons principales justifiant que le laboratoire OMEGA (unité mixte CNRS/IN2P3-École Polytechnique) conçoive ses propres circuits intégrés ou ASICS pour reprendre l’acronyme anglais (Application Specific Integrated Circuit ou Circuit intégré propre à une application).

Dans le domaine de la physique des particules, nous devons pouvoir être en mesure de déceler la présence de particules parfois insaisissables et qui font l’objet d’expériences internationales de très grande ampleur mobilisant souvent plusieurs centaines voire milliers de chercheurs comme celles qui avaient permis de découvrir le Boson de Higgs au CERN.

Nous avons donc des besoins très particuliers de développement et même d’optimisation conjoints des détecteurs et des circuits intégrés qui permettront de convertir les signaux détectés. Les progrès des ASICs permettent le développement de nouveaux détecteurs et les progrès des détecteurs nécessitent de nouveaux développements des ASICS.

Une particularité de nos ASICs liée à ce couplage avec les détecteurs est qu’ils comportent une part analogique assez importante. Aujourd’hui 90% du marché des semiconducteurs correspond à des puces numériques qui traitent des bits. Nos détecteurs reçoivent des signaux analogiques, des signaux très faibles, qu’il faut convertir en bits pour que l’information soit ensuite exploitable. Nos ASICs conservent donc une part importante d’analogique, grosso modo ils sont à moitié analogiques, à moitié numériques. Les puces les plus courantes qui équipent les appareils électroniques grands publics – ordinateurs, téléphones mobiles, lecteurs de DVD – et font l’objet d’une production massive, qui n’exclut pas les pénuries, sont des puces numériques. 

Nous avons en plus les contraintes très particulières de la physique des hautes énergies qui sont des problèmes de tenue aux radiations dans des environnements très sévères de l’ordre des centaines de megarads. Ces problèmes ont d’abord été traités en développant des technologies durcies aux radiations, mais la miniaturisation des transistors, facteur d’amélioration de la performance, favorisait aussi la résistance aux radiations, ce qui a rendu ces technologies moins nécessaires.

En revanche, les radiations sont à l’origine d’un autre type de problème – les single event effects - qui s’est plutôt accentué avec la miniaturisation et qui affecte les circuits numériques. 

Lorsqu’une particule a suffisamment d’énergie pour en déposer dans un transistor, elle peut transformer la valeur d’un bit de 0 à 1. Si ces changements peuvent être bénins, ils peuvent aussi être destructeurs. Si c’est le bit d’autodestruction de la fusée qui est affecté…cela peut être perturbant.

Le traitement de ces problèmes passe par l’architecture du circuit qui est de plus en plus complexe au fur et à mesure que les taux de radiations sont élevés sachant que plus les technologies sont petites moins la charge nécessaire pour modifier la valeur d’un bit est élevée.

Enfin, comme les circuits sont de plus en plus petits et de plus en plus complexes, nous sommes confrontés à des problèmes croissants de voisinage entre des blocs qui peuvent interagir alors qu’ils ne devraient pas le faire ou à des situations où des signaux très faibles que nous voudrions pouvoir capter sont perturbés par le bruit généré par d’autres blocs du circuit. Ces problèmes ne se posaient pas quand les cartes et les systèmes étaient beaucoup plus grands. La course à la miniaturisation peut donc être, pour nous, plus un problème qu’une solution. Elle concerne les circuits complètement numériques, qui ne sont pas les nôtres, et peut même entraîner une réduction des performances analogiques.

Quelles sont les conséquences de ces évolutions sur la conception des ASICs ?

Notre laboratoire ne fait pas de recherche sur la microélectronique. Nous ne cherchons pas à faire de nouveaux transistors plus petits, plus ceci ou plus cela, nous utilisons les transistors existants qui évoluent régulièrement. Nous nous concentrons sur la conception de circuits intégrés pour des usages et dans des environnements très spécifiques.

Nous partons des matériaux de base disponibles sur le marché, mais il y a une dimension très créative dans la conception d’architectures nouvelles pour répondre aux différents problèmes que j’ai évoqués et pour améliorer la performance et s’adapter aux changements constants des technologies.

La complexité grandissante des problèmes auxquels nous sommes confrontés se traduit par une spécialisation croissante des équipes de concepteurs, ce qui nécessite une taille critique minimum. Il y a une vingtaine d’années les ASICs étaient beaucoup plus simples, la compétition internationale était moindre et une ou deux personnes pouvaient travailler sur un circuit.

Aujourd’hui, la complexité croissante entraîne une spécialisation au sein des équipes qui doivent aussi être plus nombreuses pour travailler sur plusieurs projets et ainsi être à même de réutiliser certains blocs ou certaines architectures qu’elles ont réalisés ou les échanger contre des développements réalisés dans d’autres laboratoires dans le cadre de projets internationaux.

Quels sont les liens entre les concepteurs d’ASICS et l’industrie des semi-conducteurs et quels en sont les enjeux en termes de souveraineté ?

Nous assurons en effet la conception de nos circuits, nous les testons mais nous ne les fabriquons pas. Nous nous tournons vers les fondeurs qui sont aujourd’hui principalement en Asie, à Taïwan, en Corée du Sud et au Japon. C’est le taïwanais TSMC qui produit nos ASICS.

L’Europe et même les Etats-Unis ont perdu ce combat de la production, peut-être parce que nous ne l’avons pas vraiment engagé. Des réflexions sont en cours en Europe et aux Etats-Unis sur la relocalisation de la production des semi-conducteurs qui sont un enjeu de souveraineté. 

La maîtrise de la conception de circuits avancés intégrés reste un enjeu majeur de souveraineté. Ils se retrouvent dans des domaines stratégiques aux confins du civil et du militaire comme l’exploration spatiale ou les satellites.

Quels sont les transferts de technologies auxquels les travaux de conception d’ASICS pour la physique des particules ont donné lieu ?

L’exemple le plus classique en matière de transfert de technologie porte sur l’imagerie médicale. Les deux domaines sont très complémentaires au point que certaines conférences de physique des particules et d’imagerie médicale sont communes.

Les capteurs d’images développés pour suivre la trace de particules ont permis l’essor des capteurs CMOS qui équipent tous les appareils photos numériques et constituent un axe industriel considérable avec certains fondeurs qui ne font plus aujourd’hui que des imageurs.

Les développements que nous réalisons comme d’autres équipes de concepteurs à travers le monde en termes de tenue aux radiations, de mesures de temps très précises, de mesure de signaux très faibles… finissent par avoir des applications industrielles ou sociétales.

Les lidars, qui équiperont les voitures autonomes de demain, sont un autre exemple d’une application de mesures de distance très précises. Le premier lidar était destiné à effectuer des mesures très précises dans l’espace atmosphérique.

Avez-vous été affecté par les goulots d’étranglement qui ont perturbé la production de puces à l’échelle mondiale au cours des derniers mois ?

Les goulots d’étranglement qui ont affecté l’industrie mondiale des puces numériques ne nous ont affecté que très marginalement. Nos besoins portent sur des volumes relativement limités. La totalité de la production des ASICs pour la physique des particules depuis ses origines ne représente peut-être qu’une semaine de production d’un grand fondeur comme TSMC. En revanche, nous avons d’autres problèmes qui tiennent à la fois à la qualification des fondeurs avec lesquels nous travaillons et aux coûts induits notamment par les effets de la miniaturisation.

Le processus de développement d’un ASIC dans nos domaines s’étale sur plusieurs années entre la conception elle-même, les tests, la sélections des lignes de production, qui permettront de les fabriquer dans de bonnes conditions de fiabilité, le prototypage… le processus prend de 5 à 10 ans et peut impliquer une pluralité d’acteurs. Nous avons donc besoin d’avoir des interlocuteurs avec lesquels nous pouvons travailler sur la durée et qui disposeront de lignes de production qui resteront en fonctionnement jusqu’à la phase de production.

Nous avons une autre préoccupation qui concerne les coûts de production. A chaque fois que l’on change de nœud technologique, le prix double. Quand nous fabriquons 12 wafers de nos prototypes dans une technologie en 130 nanomètres, cela nous coûte dans les 250.000 euros, quand on passe en 65 nanomètres c’est 500.000 euros, en 28 nanomètres c’est plus d’un million… Alors heureusement des lignes de production en 130 nanomètres il en existe encore et même en 250 nanomètres ou en 350 nanomètres et elles produisent pour des clients industriels, notamment dans le secteur automobile, ce qui nous aide bien… mais la miniaturisation a aussi un inconvénient pour nous en termes de coûts sans toujours améliorer les performances.

 

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