Javier Fresán, médaille de bronze du CNRS

Le CNRS a décerné une médaille de bronze à Javier Fresán, Professeur Monge à l’Ecole polytechnique et chercheur au Centre de mathématiques Laurent Schwartz, pour ses travaux sur la théorie des périodes.
Javier Fresán, médaille de bronze du CNRS
03 avr. 2023
Recherche, CMLS

Il existe de nombreuses façons de faire des mathématiques. Celle qui motive Javier Fresán consiste à partir de questions simples, relativement faciles à expliquer à un néophyte, mais qui se révèlent riches et pleines de structures cachées quand un œil averti se penche dessus. Pour ce jeune chercheur espagnol arrivé en France dans le cadre des échanges Erasmus et chercheur au Centre de mathématiques Laurent Schwartz (CMLS*) à l’Ecole polytechnique depuis 2017, la question porte sur les nombres eux-mêmes : Comment savoir si un nombre donné est « transcendant » ?

Un nombre transcendant désigne un type particulier de nombre réel. Les réels contiennent les nombres que l’on utilise quotidiennement, à savoir les entiers positifs et négatifs (0, 1, -2,…), les fractions tel 1/4, ou encore des nombres comme √2. Ces exemples ne sont pas transcendants mais « algébriques » car il existe forcément pour chacun d’eux un polynôme à coefficients entiers dont ils sont les zéros. Par exemple, le nombre √2 est un zéro du polynôme x2-2 car (√2)2-2=0. Mais certains nombres transgressent cette règle : les nombres transcendants. Il n’y a aucun polynôme à coefficients entiers dont ils sont les zéros. Le nombre Pi constitue l’exemple le plus célèbre. Ces nombres transcendants sont en fait la norme. « Si on prend un nombre réel au hasard, il a toutes les chances d’être transcendant » explique Javier Fresán. Mais au-delà de cet aspect probabiliste, comment démontrer qu’un nombre donné est vraiment transcendant ou non ? La question est relativement simple à poser, mais n’a toujours pas de réponse générale.

La théorie des périodes

Comme souvent en mathématiques, cette question se ramifie.  « Il faut commencer par se demander ce que signifie de se donner un nombre » souligne le chercheur. Il y a en gros deux moyens : un nombre peut être vu comme somme d’une série ou comme valeur d’une intégrale. Le premier cas relève du domaine des mathématiques qui s’appelle l’analyse ; le second, de la géométrie, puisque les intégrales permettent de calculer l’aire sous une courbe (ici, une courbe décrite par une équation algébrique polynomiale, celle d’un cercle par exemple). « Le point de départ pour donner une interprétation géométrique à un nombre consiste donc à le représenter comme la valeur particulière d’une intégrale, ce que les mathématiciens appellent une période. Historiquement, cette notion est apparue pour étudier la période de révolution des planètes ou le temps que met un pendule à revenir à sa position initiale » poursuit Javier Fresán. Le nombre Pi peut s’écrire sous une forme de période car Pi est l’aire à l’intérieur d’un cercle dont le rayon est égal à 1. Des périodes généralisées, qui expriment l’aire sous une courbe décrite par la fonction exponentielle en plus des polynômes permettent d’avoir accès à d’autres nombres transcendants comme le nombre d’Euler. Le mathématicien a en particulier contribué à l’étude des structures de géométrie algébrique qui se cachent derrière ces périodes généralisées. Ses travaux offrent un nouveau langage pour formuler la question initiale, pouvoir démontrer qu’un nombre est transcendant.

Un heureux accident

Pour y arriver, un long parcours reste encore à faire. Mais chemin faisant, le chercheur est tombé sur une vieille question non résolue. Dans un article publié en 1929, le mathématicien Carl Siegel avait introduit une nouvelle classe de fonctions, les E-fonctions, qui généralisent l’exponentielle, et démontré des théorèmes sur la transcendance des valeurs de ces fonctions. La question était de savoir si ces E-fonctions pouvaient être toutes construites à partir d’autres fonctions dites « hypergéométriques ». Malgré plusieurs travaux sur le sujet, seulement le cas des E-fonctions le plus simples avait été compris. Avec son collaborateur Peter Jossen, rencontré lors d’un postdoctorat à l’ETH Zürich (aujourd’hui au King’s College de Londres), Javier Fresán a réussi à répondre par la négative à la question posée par Siegel il y a près d’un siècle. Leur résultat est paru dans la revue Annals of Mathematics fin 2021. « C’est assez incroyable d’être tombé sur cette vieille énigme que nous pouvions aborder avec nos nouveaux outils. En plus, l’article a été écrit et publié très rapidement, ce qui rajoute au caractère exceptionnel de cet accident » sourit Javier Fresán. Il confie pourtant avoir douté du succès au début de cette entreprise, mais il s’est rappelé une phrase attribuée au mathématicien André Weil : « Ce sont les optimistes qui démontrent les théorèmes. »

*CMLS : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

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