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Josselin Garnier reçoit le Grand prix scientifique de la Fondation Del Duca

27 mai. 2021
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Quel est le point commun entre un tremblement de terre, un sonar placé en mer et un laser tiré dans l’atmosphère ? Tous trois émettent des ondes qui, en voyageant dans ces milieux complexes, interagissent avec les constituants microscopiques (molécules, grains de roches, …) et sont réémises-diffusées- dans des directions aléatoires. La compréhension de ce phénomène de diffusion et son exploitation à des fins d’imagerie se situe au cœur des travaux de Josselin Garnier, chercheur au Centre de mathématiques appliquées (CMAP*) et professeur à l’École polytechnique, qui vient d’être désigné lauréat du Grand prix scientifique 2021 de la Fondation Simone et Cino Del Duca.

Extraire de l’information

« Dans l’approche classique de l’imagerie, ces diffusions multiples sont considérées comme du bruit qui brouille le signal, explique Josselin Garnier. Mais ce bruit contient en fait beaucoup d’information utile, à condition de savoir l’extraire. » C’est bien avec les mathématiques que ce chercheur, probabiliste formé à l’Ecole normale supérieure et à l’École polytechnique, s’attaque à ce problème proche de la physique. « J’ai été confronté pour la première fois à ce type de question en tant que scientifique du contingent dans un département de physique des lasers du CEA. Je me suis demandé : en tant que mathématicien, qu’est-ce que je peux faire ? »

Il combine donc des méthodes d’analyse des équations aux dérivées partielles et d’analyse stochastique afin de construire des trousses à outils adaptées aux questions qu’il rencontre. « Une onde, qu’elle soit acoustique, lumineuse, élastique, reste une onde qu’on peut décrire par un objet mathématique obéissant à une équation d’onde, une équation aux dérivées partielles. » Quant à l’analyse stochastique, elle sert à décrire le milieu complexe dans lequel l’onde se propage. La croûte terrestre ou le béton sont des exemples de tels milieux qu’il est impossible de décrire dans les moindres détails à cause du grand nombre de composants de petite échelle sur lesquels l’onde diffuse. « On considère alors ces milieux comme un mélange aléatoire de différents composants avec différentes statistiques, par exemple des rochers de différentes tailles distribués selon des processus aléatoires bien compris » poursuit le mathématicien. Le but consiste alors à essayer de reconstruire une image du milieu qui permet de repérer de structures macroscopiques comme une fissure dans un bloc de béton. Si on analyse les ondes enregistrées séparément par les détecteurs, on ne voit que du bruit causé par les diffusions multiples. « Mais mon travail, mené notamment avec George Papanicolaou à l’Université de Stanford, Knut Sølna à l’Université de Californie à Irvine et Liliana Borcea à l’Université du Michigan, a montré que l’information utile se situe en fait dans les corrélations croisées entre les signaux reçus à différents endroits.» Les fissures du béton ou les structures géologiques du sous-sol émergent alors du bruit.

Des sources opportunistes et des applications en imagerie

Ces travaux ont également conduit Josselin Garnier à participer au développement d’un nouveau type d’imagerie, dite par sources « opportunistes ». Pour faire une image, il faut en effet une source d’onde suffisamment puissante illuminant la zone voulue. Mais pour sonder profondément l’intérieur de la Terre par exemple, seuls de puissants séismes peuvent tenir lieu de sources. Or, ils sont, heureusement, assez rares et inégalement répartis. Cependant les sismomètres enregistrent en permanence du bruit de fond, généré par des activités humaines ou naturelles. « Par exemple, le léger bruit sismique engendré par les vagues sur l’océan est perceptible partout, même au Tibet ! Et on peut l’utiliser pour reconstruire des images de l’intérieur de la Terre. »

Ces méthodes mathématiques pour l’imagerie ont donc de multiples applications pour les sciences de la Terre, la prospection du sous-sol ou la surveillance de certains volcans non-explosifs comme le Piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion ; mais également pour le contrôle non-destructif de bâtiments tels les ponts ou les tunnels. Josselin Garnier est d’ailleurs à l’origine de la start-up Sivienn spécialisée dans ce domaine et dans l’imagerie sous-marine passive.

L’étude de ces phénomènes de diffusion n’est pas le seul centre d’intérêt de ses recherches. La gestion des incertitudes dans les codes numériques en est un autre. « Des codes numériques sont aujourd’hui utilisés partout dans l’industrie, pour la mise au point de systèmes, pour garantir leur performance, ou même pour faire des crash-tests. Comment quantifier la qualité des prédictions issues des modèles et des simulations numériques ? » Outre des travaux menés avec des groupes industriels comme EDF ou Airbus, le chercheur se penche depuis un an sur les modèles épidémiologiques du Covid-19, pour essayer de comprendre et de réduire leurs incertitudes. Néanmoins, il compte continuer à étudier la propagation des ondes dans les milieux complexes. « Il reste beaucoup de questions théoriques à éclaircir, notamment sur le couplage des différents types d’ondes élastiques, de volume ou de surface, qui peuvent se propager au niveau de la croûte terrestre par exemple ». Ce prix scientifique va d’ailleurs lui permettre de financer de futures recherches sur le sujet.

A propos du Grand prix scientifique de la Fondation Simone et Cino Del Duca

Créée en 1975, la Fondation Simone et Cino Del Duca est abritée à l’Institut de France depuis 2005. Elle œuvre en France et à l’étranger dans le domaine des arts, des lettres et des sciences par le moyen de subventions et de prix attribués chaque année sur proposition des académies. La Fondation décerne annuellement quatre Grands prix. Le Grand prix scientifique récompense un chercheur français ou européen et son équipe, présentant un projet de recherche ambitieux sur un thème prometteur précisé chaque année.

*CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

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