Modéliser les flux d’aérosols dans une chambre de réanimation

Modéliser les flux d’aérosols dans une chambre de réanimation
24 juin. 2021
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Simulation de la propagation d'aérosols dans une chambre de réanimation.

La pandémie de Covid-19 a provoqué une pression inédite sur les hôpitaux en France et dans le monde. Au début du premier confinement, en mars 2020, quelques dizaines d’élèves polytechniciens se sont portés volontaires dans les hôpitaux de l’Assistance publique -Hôpitaux de Paris (APHP). C’est ainsi que Maxime Lancelot et Cyril Crawford, alors en 4e année à l’X ont rejoint le service de réanimation de l’hôpital Bichat-Claude Bernard. Ils ne se doutaient alors pas que cela les conduirait à publier dans le journal Scientific Report un an plus tard. « Les professeurs Jean-François Timsit et Lila Bouadma nous ont proposé d’utiliser nos compétences scientifiques sur des questions de recherche médicale. » « Le risque de contamination aéroportée par des agents pathogènes constitue une préoccupation de toujours, mise en lumière par la pandémie, renchérit Jean-François Timsit. Il nous faut oxygéner les patients tout en faisant prendre le minimum de risque infectieux aux autres patients et aux soignants. »

Comment limiter le risque de contamination ? Des protections existent déjà : visières, gants, masques. Quant aux chambres, elles sont munies de deux bouches d’aération qui instaurent un flux d’air, parfois suppléé par un système mobile de ventilation. De plus, la pression qui règne à l’intérieur de ces chambres est maintenue plus faible qu’à l’extérieur pour éviter que les pathogènes ne s’échappent à l’ouverture de la porte. Néanmoins, selon la façon dont ils sont oxygénés, les patients continuent à émettre des aérosols potentiellement pathogènes lorsqu’ils respirent, toussent ou éternuent. « Les gouttes de plus de 5 micromètres retombent rapidement près du patient et sont déjà bien étudiées. Ce sont les gouttelettes plus petites qui nous intéressaient, celles qui restent dans l’air et peuvent se propager à plusieurs mètres » explique Cyril.

Pour mieux comprendre ce phénomène complexe à observer, les étudiants recherchent un appui expérimental. Ils sont orientés vers le Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX*) où travaille alors Baptiste Decorde. Polytechnicien en troisième année, son stage aux Etats-Unis a été annulé, pandémie oblige. Christophe Josserand et Camille Duprat, chercheurs aux LadHyX, lui ont donc proposé de monter des expériences afin de comprendre les écoulements respiratoires, en lien avec le Covid-19. « Comme les gouttelettes d’aérosol sont difficilement observables, nous avons décidé de visualiser les flux d’air expirés les transportant avec une technique d’ombroscopie » explique Baptiste. Avec cette technique, faire contraster la lumière ayant traversé l’air émis par la bouche avec la lumière n’ayant traversé que l’air ambiant permet de visualiser les turbulences causées par la respiration, la toux ou les éternuements. Le champ de vitesse de ces écoulements ainsi que leur débit peuvent en être tirés. Les trois élèves ont effectué les expériences sur eux-mêmes avec du matériel prêté par l’hôpital en utilisant deux méthodes d’oxygénation, soit par canules nasales, soit par masque respiratoire CPAP.

L'ombroscopie permet ici de visualiser les écoulements respiratoires.

Les résultats de ces expériences ont ensuite été comparés avec les simulations numériques réalisées en parallèle en collaboration avec Dassault Systèmes. La simulation reproduit la toux d’un être humain qui émet un fluide chargé d’aérosols dont la trajectoire est calculée grâce à la méthode de Boltzmann sur réseau. « Il y a bien sûr des limites à nos expériences, mais elles correspondent aux simulations, en particulier les différentes phases d’expansion du jet contenant les aérosols, à la fois temporellement et en termes de morphologie» souligne Cyril.

Ces simulations ont permis de tester différentes configurations de chambre.  Elle est optimale lorsque le lit se trouve aligné avec les bouches de ventilation. De plus, le placement du système de ventilation mobile ne semble pas anodin : s’il se trouve sous la bouche d’extraction, le flux qu’il émet gêne l’évacuation de l’air. Bien placé en revanche, il améliore les performances de l’ensemble. Dans le futur, ces simulations pourraient aider à la conception des chambres d’hôpital, un sujet sur lequel Dassault Systèmes et l’APHP continuent de progresser. Le travail se poursuit également au LadHyX, où une thèse a débuté pour mieux caractériser l’écoulement des gouttelettes de respiration lorsqu’on porte un masque de protection.

 

*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

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