Un bit quantique supraconducteur à base de nanotube de carbone

Dans la revue Nature communications, l’équipe QCMX du laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC*) démontre le fonctionnement du premier circuit quantique supraconducteur doté d’un nanotube de carbone. Ce système hybride est une première étape dans l’exploration des phénomènes physiques exotiques à basse dimension.
De gauche à droite, Hannes Riechert, Landry Bretheau et Samy Annabi manipulent un cryostat servant à refroidir des circuits à très basse température.
25 Sep. 2025
Recherche, Quantique, Sciences fondamentales, École polytechnique

Depuis près de 25 ans, de mini-circuits électriques refroidis à des températures extrêmement faibles sont devenus des acteurs parmi les plus importants des technologies quantiques. Inventés dans les laboratoires de recherche, ces circuits servent aujourd’hui de composants de base (les bits quantiques) dans des proto-ordinateurs quantiques de compagnies comme IBM ou Google. A côté de ces développements qui cherchent des applications à la physique quantique, les recherches fondamentales se poursuivent en utilisant ces circuits supraconducteurs comme des outils d’exploration du monde quantique. 

Ainsi, les travaux de l’équipe QCMX, et en particulier ceux conduits par Hannes Riechert pendant son doctorat, viennent de fournir la démonstration d’une nouvelle architecture d’un circuit quantique supraconducteur associé à un nanotube de carbone, qui fonctionne comme un bit quantique. Une première. L’article est publié dans Nature communications.

Comme un atome artificiel

Qu’est-ce qu’un bit quantique ? Un bit classique est un système physique dont une caractéristique peut prendre deux valeurs distinctes, qui permettent de coder les « 0 » et les « 1 » du langage informatique (par exemple, deux niveaux différents de tension ou de courant électrique dans un transistor au sein des processeurs de nos ordinateurs). De façon similaire, un bit quantique (ou qubit) est un système physique dans lequel deux niveaux sont isolés. Mais la physique quantique ajoute la possibilité de mettre ce système dans des états de superposition « à la fois » dans un niveau et dans l’autre. Les bits quantiques peuvent être réalisés de plusieurs façons : avec des atomes, des ions, des photons…ou encore des circuits supraconducteurs.

Ces dispositifs sont de véritables circuits électriques de taille centimétrique, ici gravés en niobium grâce à des techniques de lithographie électronique. Ils sont le siège de champs électromagnétiques, dus aux courants et tensions électriques, comme dans les circuits électriques classiques. La différence avec ces derniers réside dans les effets quantiques : l’énergie électromagnétique contenue dans le circuit ne peut changer que par « paquets », elle ne peut pas prendre n’importe quelle valeur. Il existe donc des niveaux d’énergie séparés. « Contrairement à un atome qui a des propriétés fixes, nous pouvons ici entièrement designer précisément les caractéristiques des circuits. C’est un de leurs grands intérêts » souligne Jean-Damien Pillet, chercheur de QCMX. 

Un des ingrédients clés de l’apparition de ces phénomènes quantiques est la supraconductivité : à très basse température, les électrons de certains matériaux adoptent un comportement collectif plutôt qu’individuel. Cette supraconductivité est nécessaire à la fois car elle évite les dissipations d’énergie qui nuiraient à la préservation des états quantiques et aussi pour l’élément central du bit quantique, appelé jonction Josephson. Celle-ci permet aux chercheurs de manipuler exactement deux niveaux d’énergie, jouant le rôle de « 0 » et de « 1 ».

Légende : A gauche, deux circuits supraconducteurs. Les pistes électriques sont en bleu et gris. Le bit quantique lui-même  est encadré en orange. A droite, schématisation du bit quantique lui-même. Le cylindre représentant le nanotube de carbone apparaît en noir au milieu.

Une nouvelle architecture hybride : supraconductivité et nanotube de carbone

La nouveauté apportée par l’équipe de l’X est d’intégrer un nanotube de carbone comme élément pour former cette jonction Josephson. Un nanotube de carbone consiste en un cylindre creux d’un nanomètre de diamètre formé d’un unique feuillet d’atomes de carbone. « Ce nanotube étant semiconducteur, cela permet de contrôler les propriétés du bit quantique à l’aide d’une simple tension électrique » explique Landry Bretheau chercheur de QCMX. Un des défis a été d’insérer le nanotube, très sensible, dans le circuit tout en préservant le fonctionnement de l’ensemble.

Dans la publication scientifique, les chercheurs démontrent qu’ils peuvent effectivement contrôler ce bit quantique, et le placer dans différentes superpositions d’états. Ils mesurent également le temps de survie de ces états quantiques, fragiles par nature, et conduisent une étude systématique pour comprendre comment l’améliorer dans le futur.

« C'est possible que ces travaux originaux, qui sont motivés par la curiosité, puissent servir, à termes, aux applications, note Jean-Damien Pillet. Mais notre objectif est plus fondamental : le nanotube de carbone est un objet très curieux en lui-même. Avec seulement un nanomètre de diamètre pour un micromètre de long, les électrons sont comme forcés d’y passer les uns derrière les autres. C’est comme un monde à une dimension, avec des effets physiques exotiques que nous espérons voir dans de prochaines expériences. »

 

Référence de l’article :

Riechert, H., Annabi, S., Peugeot, A. et al. The carbon nanotube gatemon qubit. Nat Commun 16, 7197 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-62283-y

 

*PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

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