La Grande Guerre en archives

Quels témoignages reste-t-il de la Grande guerre vécue par les polytechniciens dans les archives de la Bibliothèque ? Quelques fonds d'archives donnés récemment témoignent.
La Grande Guerre en archives
29 oct. 2018
Patrimoine, Zoom sur les collections

La Grande Collecte est une opération nationale organisée entre 2013 et 2018 par les Archives de France en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, pour collecter ou numériser les archives d’origine privée de la Grande Guerre, c’est-à-dire détenues par les familles, les associations, les entreprises…

L’École polytechnique n’a pas participé à cette opération néanmoins plusieurs fonds d’archives d’origine privée sont entrés aux archives de l’École depuis 2004, date de l’exposition « Une Grande École dans la Grande Guerre » qui avait déjà permis de mettre au jour un certain nombre de documents inédits.

Des dons récents

Les archives de la famille Dumas (2017).

©Archives familiales-annotations Lucien Dumas

Les deux frères Lucien (X1913) et Maurice (X1919S) Dumas ont participé à la Grande Guerre. La famille de Maurice Dumas a souhaité donner leur correspondance à l’Ecole polytechnique. Ces lettres échangées durant une grande partie de la Guerre entre les différents membres de la famille témoignent du quotidien d’une famille pendant plus de quatre années de guerre, et de la vie sur le front. Lucien (X1913) est arrivé au front dans le 37e Régiment d’artillerie de campagne (R.A.C.) (devenu ensuite 237e RAC)  le 4 décembre 1914 et y restera jusqu’à la fin.

©Archives familiales-annotations Lucien Dumas

Maurice, plus jeune, le rejoint au front le 22 novembre 1916 dans le même régiment mais dans une batterie différente. Lucien participe notamment à la bataille de la Somme (1916). Il raconte :

« Les Allemands nous voyaient du Mont Saint-Quentin, qu'ils occupaient au Sud du canal du Nord et au Nord de la Somme, près de Péronne et nous étions si près des lignes que des balles de fusil sifflaient autour de nous. Chaque nuit, nous étions ravitaillés en vivres et en obus. Nous avions beaucoup tiré et reçu beaucoup de marmites. Mon observatoire était en arrière de la Batterie à 200m et j’allais d’un trou d’obus à un autre. Je me souviens avoir changé de trou d’obus bien des fois sous un tir de 280, très gros et très lent, dont je voyais arriver les obus en l’air suffisamment à temps pour pouvoir changer de trou d’obus et m’éloigner du point de chute ; ces obus s’enfonçaient dans le sol avant d’éclater donc sans projeter des éclats horizontaux, comme nos 75 l’auraient fait.

Cette position du Bois Marrière a été la plus meurtrière pour ma Batterie et pour le Régiment de toute la guerre 14-18.

J’avais comme adjoint le s/Lieutenant Binet, tué au bout de quelques jours à côté de notre 2ème pièce par une balle ou un éclat d’obus, en pleine poitrine.

Le s/Lieutenant Servois, chargé de remplacer Binet, a été tué à son tour en allant en liaison avec l’infanterie.

Et, par malheur, l’aspirant Rouyer, fils de mon ancien Commandant du Groupe, a été tué net à quelques mètres de moi, dans la tranchée où nous avions le téléphone, la popote et le repos. Il était au téléphone, j’étais avec le Docteur Dupuy et je n’ai pu retenir mes larmes.

Carte postale donnée par la famille Dumas le 14/11/2018

Et ce n’est pas tout. On m’appelle à la 8ème Batterie à côté de la mienne, à gauche, parce que le Capitaine Keller venait d’être grièvement blessé. Je me précipite pour le voir mourir devant moi.

Le Maréchal des Logis Longepierre, chef de ma 3ème pièce, est tué. Les Maréchaux des Logis Chalet et Houdouin sont grièvement blessés et évacués. Un obus atteint et pulvérise 4 brancardiers ainsi que l’homme qu’ils portaient dans le brancard : 5 tués ! Une Batterie voisine d’un autre Régiment est bombardée avec des obus à gaz et n’avait pas ses masques ! Ma Batterie heureusement avait les siens en bon état.

J’ai gardé comme souvenir du Bois Marrière un éclat d’obus venu s’incruster dans un épais carnet dans la poche du haut et de gauche de ma vareuse, juste devant le cœur ! Sans ce carnet...

©Archives familiales-annotations Lucien Dumas

Maurice témoigne quant à lui de la bataille de Grivesnes ; une bataille acharnée qui marque l’arrêt de l’offensive allemande du printemps 1918.

« Dès mon arrivée, le bombardement de Paris par une pièce à longue portée commençait, en même temps que commençait l'offensive allemande en direction d'Amiens, offensive dite "de Montdidier" puisqu’elle fut arrêtée peu au-delà de cette ville, très exactement au  village de Grivesnes. (…)

L'offensive pour Amiens semble terminée. Cependant, après quelques journées relativement calmes au cours desquelles une batterie lourde s'est installée immédiatement à la gauche du 2e Groupe, l'ennemi tente le 4 avril une attaque en règle, ultime assaut. Dès le point du jour, les batteries et le P.C. du Groupe sont violemment bombardés. Je suis dans mon rôle en allant de droite et de gauche surveiller le développement de l'attaque, pour en rendre compte à mon Commandant et aux Batteries. Vers 10 heures, j'apporte des nouvelles au Lieutenant LEBON ; le Lieutenant BOURLIER est à côté de nous quand un obus éclatant à proximité - pas très près cependant, puisque nous ne le saluons même pas d'un plat ventre - envoie un éclat qui broie un genou du Lieutenant LEBON.

                A notre gauche, Mailly-Raineval est pris par l'ennemi. L'après-midi, la situation est loin d'être claire. (…)

                Le soir du même jour, 4 avril, je suis de liaison d'infanterie. Un éclat d'obus vient me frapper, sans gravité, à la jambe.

(…)

                C'est ainsi que le 5 avril, j'ai pris une part, bien modeste, à l'attaque menée par ce Bataillon, attaque qui ne provoqua pas un bon en avant sensible, mais qui marqua bien aux Allemands qu'ils n'iraient pas plus loin. LUDENDORF, d'après ses Souvenirs de guerre, l'avait déjà compris la veille, puisqu'il écrit (p. 216) : "La bataille fut terminée le 4 avril ; la résistance ennemie s'affirmait supérieure à notre capacité offensive. Au point de vue stratégique, nous n'avions pas gagné ce qu'on pouvait espérer les 23, 24 et 25 mars. Nous n'avions pas réussi à prendre Amiens, ce qui aurait rendu particulièrement difficile la liaison du front ennemi entre le Nord et le Sud de la Somme. C'était une grande désillusion pour nous..."

Photographie :

Quelques jours après l’attaque du 16 avril 1917 de la 127e DI dans la région de Soupir. Dans un moment d’accalmie, photographie de Lucien Dumas (à droite), commandant la 21e batterie, son frère Maurice, au centre, et le lieutenant Defretière, à gauche. © DR. Photographie R. Amblard (X1913) publiée dans La Flamme, 1er trimestre 1987.

D’autres documents concernent Arthur Dumas (X1886), leur père, inspecteur des études à l’Ecole polytechnique en 1913, quand il décède brutalement lors de la catastrophe ferroviaire  de Melun.

Les archives Thouvenin (2014)

Hubert Ernest Thouvenin (X1874) est directeur des ateliers de fabrication des obus toxiques à Aubervilliers, lorsqu’il décède le 27 juin 1917 à l’hôpital (maladie) à Paris. Il est mort pour la France des suites d’une maladie contractée en service (intoxication au gaz).

Le chargement des obus dans des ateliers spéciaux et dédiés à ce travail dangereux fut décidé dès juillet 1915. Trois spécialistes, le colonel Thouvenin, assisté du capitaine Schmidt et du lieutenant Pargond furent chargés de la mise en place de ces ateliers, l'un au Fort d'Aubervilliers pour les obus toxiques et un deuxième au fort de Vincennes pour les obus incendiaires et lacrymogènes.

Le don comporte aussi un prototype de machine à peser la poudre, un portrait (huile sur toile) et deux médailles de la Légion d’Honneur.

Dans ses lettres à sa famille il témoigne : « Espérons que de tous les côtés on va se reprendre comme du nôtre et que nous viendrons à bout des allemands. Ce qui est affligeant c’est de voir toutes les populations qui se sauvent sur les grands chemins, vieillards, femmes, enfants avec des petits baluchons errent dans les bois et couchent en plein air avec des physionomies d’épouvante ; leurs maisons ont été brûlées soit par les allemands, soit par nos obus, leurs récoltes leurs bestiaux sont perdus c’est la grande misère. Tous les villages ou fermes qui se trouvent dans le rayon d’action où l’on se bat sont plus ou moins détruits. Il y aura une fameuse note à régler après la guerre » (Lettre du 7 septembre 1914, soit un mois après le début des hostilités).

Deux portraits de Hubert Ernest Thouvenin  ©Collections  École polytechnique (Palaiseau)/Archives Thouvenin

Les archives Chauvineau (2009)

Louis Chauvineau (X1895) a participé à la Grande Guerre. Il est notamment à la tête du génie de la 77e division d'infanterie qui combat à Verdun. En septembre 1917, il est envoyé diriger les cours du génie auprès de l'armée grecque dont il devient également chef du 4e bureau.

Ses archives comprennent un album photographique de la Grande Guerre.

Les fameuses "Croix de bois"

Joffre en inspection sur le front

Des découvertes et redécouvertes.

Les archives Decaux/Ferrié (2008)

Gustave Ferrié a développé l’usage de la télégraphie militaire française pendant la Grande Guerre. Une partie de ses archives de cette période l’a suivi au Laboratoire national de télégraphie sans fil, créé en 1926, devenu Laboratoire national de radioélectricité (1931), où travailla par la suite Bernard Decaux (X1919S). C’est ainsi que des archives du général Ferrié ont été découvertes à l’occasion du classement et de l’inventaire du fonds de Bernard Decaux, donné par la famille à l’Ecole polytechnique en 2008.

On trouve dans ces archives de nombreuses notices techniques d’appareils de la première guerre mondiale, ou des plans de matériels militaires, comme ce char Renault FT type 1917.

 

Les archives de Jules Lechantre (X1884).

Il s’agit d’archives d’entreprises. Ces archives sont à l’Ecole polytechnique depuis 1992 mais n’ont été découvertes qu’en 2016 à l’occasion de leur classement dans le cadre d’un stage de master d’archivistique (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines). On trouve dans ces archives un dossier sur la réquisition par l’armée britannique de l’usine de Jules Lechantre à Méault (Somme) en 1916-1917.

Lettre à Jules Lechantre

Par ailleurs le travail de classement des archives de l’Ecole a permis de redécouvrir deux autre fonds, celui de Louis Alphée Renaud. Et celui de Henri Bougier.

Les archives de Louis Alphée Renaud (X1882) comprennent un album photographique de la Grande Guerre :

Un "crapouillot" : artilleur servant un mortier de 58 aux Éparges

Un "Maurice Farman"

On trouve aussi le texte « Organisation de la Défense contre aéronefs du camp retranché de Paris -1914-1918 » qui comporte de nombreuses photographies des dispositifs de défense aérienne, comme cette salle de vernissage des ballons à Villetaneuse.

Henri Bougier (X1900) a travaillé sur le repérage par le son. Ses archives comprennent plusieurs études d’appareils de repérage, comme cet appareil localisateur d’avions (phasemètre acoustique) daté du 10 février 1918.

Des dons plus anciens (Rouquerol, Caquot, Cholesky).

Ces fonds sont bien connus. Les deux derniers ont fait l’objet de l’édition de bulletins de la SABIX.

Le fonds Rouquerol, donné par sa veuve en 1940 à l’École polytechnique, comporte plusieurs centaines de photographies de la guerre.

Le fonds Albert Caquot est entré aux archives de l’Ecole polytechnique en 1996.

Le fonds André-Louis Cholesky  est entré aux archives de l’Ecole polytechnique en 2003. Il comporte le célèbre manuscrit  « Sur la résolution numérique des systèmes d'équations linéaires ».

Les archives de l'École

A noter aussi dans les archives les Livres d'Or de l'École polytechnique.

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