Mathieu Desbrun, ACM Fellow 2021

Mathieu Desbrun, ACM Fellow 2021
15 jan. 2021
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Crédit : Fernando de Goaes, Pixar                                                                                      (Article publié conjointement sur le site de l’Inria)

Des fractales à la recherche

Lorsqu'il était encore en école d'ingénieur, à l'Ensimag de Grenoble, Mathieu Desbrun adorait créer des images fractales, ces objets mathématiques aux effets souvent considérés comme hypnotiques, qui présentent des structures similaires à toutes les échelles. Ce talent lui vaut à l'époque la reconnaissance de l'un de ses professeurs, « qui aimait ces images et les affichait dans son bureau », s'amuse-t-il. Mais il l'amène surtout à découvrir le monde de la recherche qu'il n'avait jusqu'alors pas envisagé pour son avenir professionnel : « Cet enseignant est venu me voir un jour en me disant qu'une équipe de recherche en synthèse d'image allait s'installer à Grenoble et il m'a suggéré de les contacter dans la mesure où ils pourraient avoir des sujets de stages intéressants à me proposer. C'est que j'ai fait et je ne le regrette pas ! »

La découverte de la géométrie appliquée

Mathieu Desbrun prépare avec succès, en parallèle de sa dernière année d'école d'ingénieur, un DEA (master 2), puis il renonce à une offre de premier emploi pour se lancer dans une thèse en synthèse d'image à l'université de Grenoble, qui lui paraît plus attrayante. Il rallie par là-même lnria par le biais de l'équipe-projet Imagis, soutient sa thèse, et s'envole pour un postdoc d'un an et demi aux États-Unis, au prestigieux California Institute of Technology (Caltech). Il exercera plus de 23 ans en Californie, principalement à Caltech, en tant que professeur spécialiste de la géométrie appliquée, « applied geometry », en anglais un terme qu’il a créé pour souligner l’importance des applications dans sa recherche.

Numériser les découvertes d'Élie Cartan

« Le terme géométrie n'est hélas pas très clair, regrette-t-il. Il renvoie principalement à la trigonométrie, pour les non-scientifiques, et n'a pas un sens très arrêté pour les scientifiques. » Pour l'expliquer, Mathieu Desbrun se réfère, lui, à son mentor découvert un peu fortuitement et sur le tard : le grand mathématicien français Élie Cartan. Ce dernier, décédé en 1951, est connu notamment pour ses travaux en géométrie différentielle (application du calcul différentiel à l'étude de la géométrie). « Il a montré que beaucoup de travaux scientifiques (par exemple sur la mécanique relativiste, la mécanique des fluides...) peuvent être décrits de façon purement géométrique. Il n'y a pas besoin de faire référence à un système de coordonnées. Les invariants et symétries de ces modèles sont clairement exposés au lieu d’être cachés au sein d’équations obscures », précise Mathieu Desbrun.

Simuler sur ordinateur des équations continues

Près de 100 ans plus tard (Élie Cartan a mené la plupart de ses recherches avant sa nomination à l'Académie des sciences, en 1931), « nous utilisons l'informatique pour essayer de reproduire de façon numérique les équations fondamentales qui modélisent le monde qui nous entoure », précise le chercheur. La difficulté est de reproduire ces équations continues (utilisant des concepts différentiels, donc à base d’infinitésimaux) sur des ordinateurs qui ne savent gérer que des choses "discrètes", à savoir une série de nombres ». Le chercheur exploite donc l’interprétation géométrique dont Cartan était particulièrement adepte, puis discrétise directement cette forme géométrique. Cette approche générale permet de simuler numériquement des équations continues tout en respectant les propriétés intrinsèques (relations de symétrie, invariants topologiques, etc.), offrant souvent des temps de calculs plus courts et une fiabilité accrue par rapport aux méthodes plus classiques.

Retour aux sources

Les travaux de Mathieu Desbrun, qui ont donné lieu à de très nombreuses publications, sont utilisés par des entreprises de multiples secteurs d'activité, souvent parce qu'elles s'intéressent « aux possibilités offertes par notre calcul extérieur discret ou ont besoin de faire des calculs géométriques rapides et fiables ». C'est par exemple le cas pour la simulation de la résistance à l'air des voitures, trains ou avions, pour la modélisation de certains organes du corps humain et du système sanguin, ou pour la création d'effets spéciaux au cinéma.

De retour en France, Mathieu Desbrun – en disponibilité de Caltech pour une durée indéterminée – vient de rejoindre le centre Inria Saclay – Île-de-France, en tant que chercheur avancé, et le LIX (Laboratoire d’informatique de l’École polytechnique), en qualité d’enseignant. Il s'apprête en outre à reprendre ses activités de chercheur de ce côté-ci de l'Atlantique sur un thème en rapport avec la géométrie appliquée. « Je cherche à créer une équipe qui puisse non seulement pousser les aspects géométriques et numériques qui m’intéressent, mais qui permette aussi d’interagir pleinement avec les expertises locales dans des domaines connexes. » Le but n'est autre que d'établir, à Saclay, un environnement unique et intellectuellement attrayant au niveau international.

En savoir plus : Pixar Animation Studios s'empare du sujet

On le dit peu mais les films d'animation de Pixar (Coco, Le monde de Nemo ou Toy Story...) utilisent des objets mathématiques complexes. Au travers de ses travaux et de ses anciens élèves (deux des quatre chercheurs permanents de Pixar, Mark Meyer et Fernando de Goes, ont été ses thésards), Mathieu Desbrun a régulièrement été amené à apporter directement ou indirectement sa patte aux nouvelles productions de ce studio. Lequel utilise, entre autres, des techniques de géométrie différentielle discrétisée pour améliorer la modélisation et la déformation de formes tridimensionnelles, y compris tout ce qui touche au positionnement et au mouvement des poils ou des cheveux.

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