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Hommage à Jean-Louis Basdevant
27.11.2025 Hommage à Jean-Louis Basdevant
| 14h | Accueil |
| 14h10 | Allocution de Laura Chaubard, Directrice Générale de l’École polytechnique |
| 14h30 | Film de l'amphi 0 du 1er septembre 1994 de Jean-Louis Basdevant |
| 15h15 | Remarques biographiques et témoignages |
| 16h00 | Café |
| 16h15 | Interlude musical |
| 16h45 | Prises de parole d'anciens collègues de Jean-Louis Basdevant |
| 17h15 | Conférence scientifique de Pascale Senellart |
| 18h15 | Cocktail au Salon d'Honneur |
06.04.2025 Hommage à Jean-Louis Basdevant
C’est avec grande tristesse que nous avons dû apprendre que Jean-Louis Basdevant nous a quittés le 6 avril 2025. Jean-Louis Basdevant est né le 18 septembre 1939 à Bucarest, où son père faisait partie du corps diplomatique. Après une enfance marquée par la guerre et une jeunesse très internationale, il fait ses études scientifiques à l'ENS, tout en ayant été admis aussi au Conservatoire National de Paris comme pianiste. Il entre au CNRS en 1963, et il est recruté à l'École polytechnique comme Maître de Conférences en 1969.
Jean-Louis commence à jouer un rôle central pour l'enseignement à l'École après le décès brutal de Bernard Grégory en 1977, dont il devient l'héritier naturel après l’avoir secondé au cours de mécanique quantique pendant les années précédentes. Il est nommé professeur de physique à l'École en 1979, fonction dans laquelle il s’investit sans compter jusqu'à sa retraite en 2004 ; il est alors nommé Professeur Honoraire, en même temps que ses deux collègues Edouard Brézin et Jean Salençon. Jean-Louis a témoigné d’une vraie passion pour l'enseignement et pour ses élèves pour lesquels il a su se rendre infiniment disponible. Ses cours, menés avec un brio incomparable, ont toujours mis en avant la dimension humaine de toute l’activité scientifique. Il y a décrit les intuitions, les traits de génie, mais aussi les doutes des découvreurs. Dans ce grand spectacle ainsi mis en scène, une seule règle importe : ne pas tricher avec les faits que la nature nous fournit. Autant qu’une leçon de physique, un cours de Jean-Louis a donc également constitué une leçon de vie pour chacun de ses élèves. Ses collègues de toutes disciplines l’ont élu pour les représenter au Conseil d'administration pendant plus de 20 ans. Dans cette fonction aussi bien que dans la présidence du département de physique (1992-2004), il détient le record de longévité. Jean-Louis a joué un rôle majeur dans la modernisation de l’enseignement à l’École lors de la réforme dite « X 2000 ». Il ne fait pas de doute que Jean-Louis Basdevant a façonné et structuré le département de physique de l’École polytechnique comme personne avant ou après lui.
Le renom de chercheur de Jean-Louis se fonde sur ses travaux en théorie des particules élémentaires et en physique quantique. En dehors de ses publications de recherche, il est auteur de nombreux livres scientifiques sur la physique quantique, les principes variationnels, la physique nucléaire..., ainsi que d'ouvrages de vulgarisation. Quel que soit le sujet, toujours traité avec brio, on voit luire en arrière-plan l'esprit sans limites et l’immense culture d'un homme qui n'est pas seulement professeur, chercheur, physicien, écrivain ou artiste : il est tout cela en même temps. Beaucoup d’anciens décrivent sans hésiter Jean-Louis comme le professeur le plus charismatique de toute leur scolarité, celui qui a véritablement marqué leurs vies.
Les deux dernières années de la vie de Jean-Louis étaient marquées par des problèmes de santé de plus en plus graves. Il n’en a pas beaucoup parlé. Mais quand il le faisait, il passait assez vite du particulier au général, inscrivant sa situation personnelle dans le contexte de la condition humaine avec toutes ses forces et faiblesses, en abordant directement le rôle de notre mortalité dans la vie.
Jean-Louis laisse un grand vide derrière lui. Nous nous associons à sa famille dans le deuil. Le département de physique a été trop fortement marqué par lui pour qu’il puisse être oublié.
Témoignages à la mémoire de Jean-Louis Basdevant
Nous recueillons vos témoignages à la mémoire de Jean-Louis Basdevant à l'adresse memoriam.jean-louis.basdevant@polytechnique.fr
Ces témoignages seront publiés ici.
Jean-Louis Basdevant , plus d'un demi-siècle de souvenirs complices pour moi, faits de partage de science et de moments d'amitié . Il avait suivi Roland Omnès à Strasbourg où ils s'intéressèrent en particulier au problème quantique des trois corps. Puis je le revois au CERN où il avait collaboré avec André Martin. Ce jeune Normalien fut attiré ensuite à l'X par Bernard Grégory qui, nommé Directeur Général du CERN, ne pouvait plus assumer seul son enseignement de mécanique quantique. Hélas vite disparu, c'est à Jean-Louis que revint d'assurer ce cours essentiel et il en fit un chef d'œuvre de clarté et de pédagogie qui enchanta plusieurs générations d'élèves successives. Il savait être grave, mais son humour, son talent de pianiste, sa vision du monde, étaient des compléments fascinants pour tous ces jeunes qui l'écoutaient émerveillés. Ce Département de l'X fut sa vie, son chef-d'œuvre, et il y joua un rôle essentiel pour poursuivre la modernisation de l'enseignement qu'avaient initié Laurent Schwartz et Louis Michel. Jean-Louis fut donc un grand serviteur de la science de notre pays.
Edouard Brézin
Tu as été pour moi une permanente source d’inspiration. Quel physicien et quel pédagogue ! Tes amphis comme ton cours de mécanique quantique étaient de vrais bijoux ! Tu racontais toute cette épopée du début du 20ème siècle, avec une telle force que nous la vivions tous avec toi. Tous les élèves en raffolaient. J’ai entendu tant d’éloges de leur part que nombreux sont ceux qui ont choisi une carrière scientifique. Quelle écoute tu avais auprès de nous tous, qui assurions tes « petites classes ». Avec moi tu t’étais émerveillé pour l’astrophysique. Que de discussions et de plaisirs partagés. Le deutérium, les molécules d’hydrogène interstellaires, les exoplanètes, les microlentilles gravitationnelles et bien d’autres mystères de l’Univers sont passés par là.
Plus que tout, tu étais un ami qui est resté très proche même dans les moments difficiles. Je ne t’oublierai jamais, tu restes pour moi une étoile éternelle la plus brillante bien sûr : Sirius. Comme tu appréciais aussi l’Égypte ancienne, dont certains documents t’avaient même inspiré pour illustrer tes cours, sache que cette étoile est associée à Isis, protectrice des étudiants, toujours si nombreux autour de toi. A partir de maintenant, chaque fois que je regarderai Sirius, ce sera toi qui me fera un clin d’œil. Merci pour tout. Nicole qui t’a aussi très bien connu se joint à moi pour transmettre toutes nos condoléances à ta famille, tes proches et aux milliers d’étudiants qui ne t’oublieront jamais.
Nicole et Alfred Vidal-Madjar
J’ai appris avec une profonde tristesse cette semaine le décès d’un immense Professeur, Jean-Louis Basdevant. Je me souviendrai à jamais de ses amphis à l’X : j’avais rejoint l’X avec une immense envie d’apprendre la physique quantique et j’ai été sur un nuage pendant chacun de ses cours. Je me souviens en particulier de la session sur le chat de Schrödinger : est-il vivant ? est-il mort ? Le simple fait de mesurer va tuer le chat… Je me souviens aussi du temps qu’il m’a consacré pour réfléchir à la suite : quelle voie choisir entre physique et sciences de la vie ? et aussi pour approfondir certaines notions vues en cours. Enfin, un souvenir plus récent, lorsque j'étais Directrice de l'AGEPS, en 2017 ou 2018 : j'étais tombée par hasard sur Jean-Louis Basdevant, rue Mouffetard. Nous avions alors pu nous retrouver tous les deux, le temps d'un déjeuner. Toujours la même passion et le même sourire. Jean-Louis Basdevant était clairement passionné par le partage, il aimait la science, mais il aimait avant tout diffuser ses connaissances et partager sa passion. Je me suis replongée hier soir dans les différents ouvrages qu’il a publiés et ai redécouvert certains trésors dans ses préfaces et les citations choisies. Dans mon souvenir, Jean-Louis Basdevant n’est pas comme le chat de Schrödinger, il reste bien vivant, souriant et passionné par les sciences et la joie de partager, pour l’éternité. Qu’il repose en paix.
Claire Biot (X2002)
Les souvenirs de mes rencontres avec Jean-Louis, formels au Département de Physique de l'École ou fortuite lors d'un jury, une conférence, ou un café au LLR, sont toujours marqués par sa bonne humeur, comme si on venait de lui raconter une bonne blague, et par une bienveillance naturelle. Ils resteront, comme une chose rare et appréciable.
Vincent Boudry
C'est avec une grande tristesse que j'ai appris la nouvelle de la disparition de Jean-Louis Basdevant. Jean-Louis, pendant ma période d'enseignement à l’École polytechnique, a été mon mentor, mon inspirateur, un modèle pour l'enseignement et un ami sincère. Je regrette que j'ai perdu le contact avec lui, depuis 10 ans, même si j'ai pensé beaucoup à lui. Je lui dois beaucoup et je ne l'oublierai pas. Je continue à lire et relire ses ouvrages.
Michel Spiro
Je n’oublierai jamais ses amphis, à la fois profonds, spectaculaires et captivants, tenant en haleine quelque 400 élèves et une dizaine d’enseignants pendant plus d’une heure et demie ; sa pédagogie inégalée rendant clairs et accessibles des concepts subtils et contre-intuitifs ; sa bienveillance et ses conseils précieux aux jeunes enseignants, tenus à exécuter « la figure obligatoire » des PC de Méca Q avant de faire leurs cours spécialisés ; son fin sens de l’humour et les nombreuses anecdotes, partagées lors des repas et des cafés pris ensemble après les amphis. Plus de vingt ans après, je me replonge toujours avec la même délectation dans son poly et ses « 12 leçons » ; heureusement, ils sont et ils seront toujours là pour nous raconter et nous apprendre par un immense pédagogue ce qui est « l’une des plus grandes aventures intellectuelles de l’humanité ». Merci pour tout, Jean-Louis !
Razvigor Ossikovski
J’ai rencontré Jean-Louis Basdevant dans les années 70 quand il venait discuter avec mes collègues des propriétés d’analyticité des amplitudes de diffusion de leurs prolongements phénoménologiques. Nos routes se sont ensuite souvent croisées à propos d’autres problèmes de physique ou du concours d’entrée à Polytechnique, et peu à peu une profonde amitié nous a liés. J’ai découvert d’autres facettes de sa personnalité, son immense culture, ses talents de musicien, ses réseaux dans des milieux très variés. Jean-Louis a abordé les sujets les plus divers mais il avait commencé ses recherches sur le problème à trois corps et avait gardé un intérêt pour les subtilités des systèmes quantiques à petit nombre de corps. Il a par exemple étudié les effets relativistes dans la dynamique interne des baryons. J’ai eu la chance d’être associé à Jean-Louis, André Martin et Tai-Tsun Wu pour élaborer de nouvelles bornes inférieures aux énergies de liaison et j’ai été fasciné par sa virtuosité aiguisée par l’émulation.
Jean-Marc Richard
C'est avec tristesse que j'apprends le départ de notre collègue et ami. Je l'ai si longtemps identifié avec le département de Physique de l'Ecole ! Combien de générations de Polytechniciens ont ils appris que le chat de Schrödinger n'était ni vivant ni mort ? Il a popularisé la physique auprès d'un grand nombre d'entre eux. Je n'ai personnellement pas eu l'occasion de l'assister dans son cours mais lui suis redevable des efforts qu'il avait entrepris avec Yves Quéré pour soutenir mon recrutement en tant que Professeur. Sa vie à l'Ecole ne laisse que des images heureuses que nous sommes nombreux à avoir partagées avec lui.
Mes sincères condoléances à ses proches.
Henri Alloul
C'est avec tristesse que j'ai appris le décès de Jean-Louis Basdevant. Je l'ai connu comme directeur du département de physique et professeur de mécanique quantique. J'ai eu la chance d assister à son cours sur les réactions nucléaires dans le soleil, qui tenait l’amphithéâtre en haleine.
C'était un grand professeur.
Mn bussac chercheur émérite
N'étant pas universitaire, mais simplement un retraité amateur à mes loisirs de physique, c'est avec tristesse que j'apprends la mort de JL Basdevant. Certes je ne l'ai pas connu en tant que professeur (j'aurais bien aimé) mais je suis tombé fan de ses ouvrages. Comme témoignage, j'avais eu un échange par mail avec lui sur une question que j'avais posé (non scientifique mais sur la nature d'une comparaison qu'il avait fait avec le journal 'le Monde') et il m'avait aimablement répondu. Il m'avait du coup envoyé en remerciement son livre 'Fundamentals In Nuclear Physics: From Nuclear Structure to Cosmology' avec sa dédicace, ce que j'ai fortement apprécié.
Mes condoléances à sa famille.
Jean-Pierre Izard
Cher Jean-Louis, je garde en mémoire deux de nos rencontres.
La première, c'était lorsque nous avons signé tous deux une mini-biographie (toi d'Augustin Fresnel, et moi de Thomas Young) dans un même recueil. En lisant ton texte dans l'ouvrage définitif, j'ai découvert ton formidable talent de conteur. Cet épisode nous a valu de partager un verre lors de la soirée de lancement, et surtout de discuter de l'héritage de ces deux monuments de la physique ondulatoire. J'en garde un souvenir délicieux car ton talent de conteur se doublait de celui de raconteur, et que nous avons sympathisé durablement.
La seconde rencontre a duré un peu plus longtemps, en fait plusieurs heures studieuses au cours de longues nuits préparatoires à mes séances de PC de Méca Q. J'ai, pour ces fois-là, le souvenir d'un profond élan de reconnaissance -- que je ressens encore aujourd'hui. Car ton poly de 12 leçons, et le livre que tu as rédigé avec l'ami Jean Dalibard, constituent l'incontournable "kit de survie" pour tout jeune PCC fraîchement recruté au département et tenu (pour reprendre la formule de Razvigor ci-dessus) à exécuter "la figure obligatoire" des PC de Méca Q. Comme mes collègues probablement, je me suis retrouvé bien souvent seul, un peu désarmé face à une notion plus ardue que les autres, et la difficulté d'une explication ou d'une description pédagogique adaptée. Tu as été sans le savoir, à ces moments-là, mon sherpa de haute montagne ; le genre de sherpas qui permettent de rester stable au cap et d'arriver à destination.
Pour ces deux rencontres, Jean-Louis, merci.
Riad Haidar
Écrire la nécrologie d’un plus jeune que soi est aberrant, une injustice manifeste. Mais narrer les faits et gestes d’un ami reste un devoir.
Ma toute première rencontre de Jean-Louis date de 1957. Nous étions l’un et l’autre en prépa, au Lycée Saint-Louis, à Paris. Notre classe de NSE avait comme mission de fournir en naturalistes — comme on disait alors — l’École normale supérieure de la Rue d’Ulm. Ainsi, de Jean-Pierre Changeux. Contre-exemple : le physicien Pierre-Gilles de Gennes, lui aussi passé par NSE.
Jean-Louis et moi avons eu René Deluchat comme enseignant de physique-chimie. Il nous influença profondément, l’un et l’autre. Ses cours, géniaux, étaient empreints de théatralité. C’est de lui que Jean-Louis tînt sa manière de présenter des amphis mémorables, par leur mélange d’humour et de sérieux, une manière de se meYre en avant tout en restant modeste, l’essentiel étant le message à faire passer.
D’ailleurs, Jean-Louis et moi avons tenu à exprimer notre commune gratitude à Deluchat, alors que nous étions l’un et l’autre profs à l’X : nous allâmes le trouver un soir, pour le lui dire ensemble.
J’appris de Jean-Louis combien il était fier de sa famille. Pas seulement de son père, Jean Basdevant (1912-1992), diplomate, en poste à Bucarest lors de sa naissance. La mère de Jean-Louis était Denise Basdevant (1911-2006), historienne et écrivaine. Leur chauffeur, Jean-Louis se le rappelait avec joie, était Michel Tatu (1933-2012), futur grand journaliste au Monde. Dans les années 1950, Jean Basdevant dirigeait les affaires culturelles au Quai d’Orsay.
Jean-Louis était surtout fier de ses grands-pères, l’un et l’autre des juristes éminents, Jules Basdevant (1877-1968) et Paul Bastid.(1892-1974). Sa tante, Suzanne Basdevant-Bastid (1906-1995), fut elle aussi une grande juriste.
Jean-Louis avait en propre sa chambre, tout en haut de l’immeuble où habitait alors sa famille, au coin de la rue des Écoles et de la rue Saint-Jacques. Il y avait un excellent piano, dont il jouait avec soin et talent.
Jean-Louis intégra la Rue d’Ulm, je fus seulement boursier de licence. Nous nous retrouvâmes au cours de MMP (Méthodes mathématiques de la physique), de Laurent Schwaro à l’IHP. J’ai déjà narré mon infortune : l’un des peu nombreux à avoir réussi le partiel, mais séchant à mort lors de l’examen final — pourtant de la même bourre comme Jean-Louis me l’expr ima, non sans vivacité.
Il adorait la maison familiale de vacances à Porquerolles _ sa soeur France en donna une description sur la Toile. Il était donc familier du trajet Paris-Méditerranée. Nous l’avons fait ensemble en grande partie, au début de l’été 1960. De mon côté, je me rendais à Courbons, un vlllage perché de Haute-Provence. Nous nous sommes arrêtés d’abord à Tournus. C’était, pour Jean-Louis, un lieu familier, il me montra avec fierté, la basilique romane, puis, tout près, un restaurant qu’il prisait.
Une autre halte, pour lui obligée, un vrai rite, était Aix-en-Provence : il fallait boire une gorgée d’eau à l’une des fontaines du Cours Mirabeau — pas n’importe laquelle, il avait sa favorite, qu’il me fit savourer.
Nous allâmes ensuite, tout près d’Aix, au Tholonet, en bas de la Montagne Sainte-Victoire. Jean-Louis y retrouvait sa bonne amie, elle et lui étaient alors en couple, Marianne Merleau-Ponty — MMP, le même sigle que le cours de Laurent Schwaro sus-nommé. Nous fûmes ainsi invités à déjeuner chez les Merleau-Ponty — le philosophe, professeur au Collège de France, et son épouse. Ils avaient loué, cet été-là (1960) une très belle maison appartenant à un peintre. Le repas se passa à interroger Merleau-Ponty au sujet du couple Simone de Beauvoir-Jean-Paul Sartre. Beauvoir avait publié deux ans plus tôt Les mémoires d’une jeune fille rangée, qui connut, à juste titre, un grand succès. MMP nous assura qu’il n’y avait pas de lien sexuel entre eux.
En 1961, Jean-Louis vint me rejoindre dans les Alpes. J’avais trouvé à louer une maison de village à Méribel. Nous y avons passé ensemble une semaine ou deux à skier — « était-ce en février ou à Pâques ? Alain Gaudemer, autre normalien, autre ancien de NSE à Saint-Louis, fut de cette équipée. Hélas, Alain se cassa la jambe l’avant-dernier jour. Des années plus tard, il présidera l’Université d’Orsay. Ce même été 1961, Jean-Louis, en chemin vers Porquerolles, s’arrêta un jour ou deux chez nous à Grenoble.
Durant les années qui s’ensuivirent, Jean-Louis et moi avons découvert, séparément, les grandes universités américaines. Pour lui, ce fut Berkeley, pour moi, Princeton (1962-3 puis 1965-70).
Un souvenir subséquent est d’avoir rendu visite à Jean-Louis, à Strasbourg, où il avait suivi Roland Omnès. Était-ce en 1966 ? Quoi qu’il en soit, ce fut pour moi une rencontre proprement séminale : Jean-Louis me recommanda vivement la lecture du cours de Feynman, Lectures on Physics.
Ces trois volumes, magistraux, proprement inspirés, furent publiés en 1963. Je découvris avec ivresse leur charme, leur profondeur, toutes leurs échappées. C’est pour moi une grande dette intellectuelle dont je suis redevable à Jean-Louis.
De fait, je résolus d’emblée de m’atteler à un enseignement comparable à celui de Feynman, mais pour la chimie. Mes Leçons de chimie paraissaient, en français donc, chez Hermann, dans les années 70 (revenu de Princeton en Europe, j’enseignai à l’Université de Liège à partir de 1970). Le parallèle avec Feynman était certes prétentieux de ma part. Mais je lui suis redevable, c’est le lieu d’en faire état, de mon poste de professeur de chimie à l’École polytechnique.
En effet, une commission avait été mise en place par Emmanuel Grison, auquel succéda Maurice Bernard à la direction de l’École, pour renouveler cet enseignement de la chimie à l’X — les deux professeurs en place Marcel Fétizon et Georges Guiochon furent effectivement remplacés. Guy Ourisson, alors ancien président de l’Université Louis Pasteur (1971-6) et ancien directeur des enseignements supérieurs au Ministère de l’Éducation nationale (1981-2), membre influent de cette commission, avait été fortement impressionné par mes Leçons de Chimie. Il recommanda que l’X fasse appel à moi; ce fut le cas en 1984 — je pris mes fonctions à Palaiseau en 1986.
Enseigner comme professeur à l’École polytechnique, c’est en premier lieu et surtout présenter des amphis. C’est une tâche plus qu’ardue, mais valorisante. Elle exige, à mon sens, au moins dix heures de préparation pour chaque amphi d’une heure. Il faut y présenter tout un chapitre d’une discipline, qu’il s’agisse de physique quantique ou de chimie, avec rigueur et sérieux, afin d’informer de l’intérieur les élèves de son contenu. Informer et non former, car la plupart des auditeurs choisiront d’autres voies.
Ainsi, pour une discipline, en montrer les fondements, les lignes de force, les approximations consenties, les applications — bref la présenter de l’intérieur, avec fougue et sérieux, à des auditeurs dont la plupart n’y feront point carrière. Jean-Louis y excellait.
J’ajoute pour terminer que c’était un ami délicieux, chaleureux, prévenant, cultivé et cherchant à vous faire partager ses lubies, tant les enthousiasmes que les indignations.
Pierre Laszlo
Je soutiens l'X